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dent pour dent
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Les yeux fermés, le temps de dire je m’endors

et déjà le pouls descend.

 

Les fumées montent et déjà des formes brutales réclament des noms,

l’occupation des sols, les courses, et la panique parle à voix haute pour mettre une chose épaisse dans les choses qui arrivent.

 

Le temps de dire je m’en sors et déjà je rêve que j’ai rêvé.

 

 

  •  

 

 

Tu m’entends ?

Je crie Arrête j’ai beau gueuler personne n’entend ma voix. J’ai beau supplier

si je me retourne j’arrête la panique un instant le temps de crier Réveille-toi !

C’est entendu il faut détaler, courir encore plus vite, allez.

Une main étreint mes pas et je dis putain - j’ouvre les yeux et je comprends c’était le drap. Alors je dis ça va

mais je cours encore et j’oublie d’arrêter de me dire à la fin je dors je meurs pas je dors je meurs pas.

 

 

  •  

 

 

Ça recommence les formes brutales, les formes gelées dès qu’elles bougent. Les vagues.

Les noms à voix haute pour les choses qui tombent en questions alarmées, en injures.

Têtes penchées dans la voiture, bouches tordues dans l’herbe. On est Dimanche, aujourd'hui ?

 

J’ai déjà vécu ça. Avant-hier j’étais là-bas, la violence dans les deux bras.

Dans la rue j’ai gueulé un truc comme ça, qu’aucun fils de pute ne me barre le chemin, ou quelque chose.

J’ai fait un drôle de geste, l’œil en retard sur la main, la main déjà en l’air le coup est parti.

 

Rien ne peut arrêter ce geste qui projette le sol entier au ciel, qui me parachute au plafond.

Je connais ce truc-là, un choc de bref-espace, d’un bond les coups évités, se relever ruer sauter démolir.

 

- J’ai fait ça, moi ?

- Tu l’as fait.

 

 

  •  

 

 

Pour cacher un crime qu’on a commis, au plus vite, en commettre un autre.

 

 

  •  

 

 

L’air est malaisé, je marche dans une eau noire jusqu’aux genoux. Je sens la pression de ta main dans mon dos

et je t’entends le dire, d’une voix gaie mais sans sourire, c’est dangereux ici, n’est- ce pas ?

 

Comme on dirait il a fait beau aujourd’hui, n’est-ce pas ?

 

Souviens-toi, dimanche on a joué à ce jeu : tu poses ta main sur mon épaule et je ferme les yeux.

On marche comme ça ta main posée sur moi je me laisse guider les yeux fermés.

Tu dis à voix haute tu vois ? Je dis raconte encore.

 

Je m’entends le dire à voix basse dans une pensée qui n’est à personne, j’ai déjà vécu ça.

 

 

  •  

 

 

De nouveau il faut se battre, et personne ne demande pourquoi, de nouveau les os, les bruits, les coups. À voix haute la voix dit le combat. Les talons, les poings, les phalanges. Les oreilles brûlantes, le sang dans les tempes. Un incendie minuscule. D’un coup les chiens, les crocs, les chevilles. Le front, l’arcade, les poignets. Mes narines saignent, je crois. Des mouches, un coupable, la bouche. Le far west, l’idiot, la voix qui dit ça. Au large, une catastrophe, c’est comique. L’odeur de l’herbe, l’odeur du sang dans l’odeur de l’herbe. La crasse, le monde, les têtes penchées. Les yeux qui se ferment dans le sable, qui s’ouvrent sur une paire d’yeux contraires, où sont gelés tous mes gestes.

 

Un corps en bas il est mort où il est, en sable. Ma tête en sable crie avec ma voix : rends le moi.

Je criais ce corps est le mien je criais c’est pas fait pour les chiens et soudain je me réveille, je respirais la bouche ouverte comme pour boire.

 

 

  •  

 

 

Non c’est pas toi, c’est pas possible. Tu n’as pas bougé je t’assure tu dormais. C’était ta voix mais c’était pas toi. La voix disait des injures, des cris arrête, des trucs comme ça. Et moi réveillée d’un coup dressée sur un coude je me suis suis vue pieds nus sur le carrelage il est super froid, j’ai buté contre la chaise et j’ai dit merde. Et j’ai dit ce noir c’est étrange, le jour devrait être là. Et j’ai bu à la cuisine un verre d’eau sans allumer, j’ai su faire ça dans le noir. Tout était calme.

 

 

  •  

 

 

C’est la phrase où tout recommence, c’est dangereux ici, n’est-ce pas ?

C’était une phrase où parler, c’est à dire revenir à la surface où il suffirait d’obéir à la voix, avec le timbre qui sonne dans l’air qu’on respire. Mais quelle voix m’a fait dire ça, m’a fait dire à voix haute ça va.

 

 

 

Hors d’haleine on va contre le froid, à longues enjambées vers un dépotoir, son azur. La mer alentour, son bourdon de foule insolente imbécile éternelle. Ta main dans mon dos, tu me forces le passage. Et on marche de nouveau sur ces sentiers abrupts au bord du vide. Je peux toujours refaire ces gestes idiots, gestes des doigts discrets pour conjurer la peur et puis Qu’aucun fils de pute, et dans l’avant geste le bras qui manque.

 

Toujours la même peur, je n’y arriverai pas.

 

La mer soulevée. Un coup de talon a suffi pour entrer dans l’air.

 

 

  •  

 

 

Je tiens maintenant une image répétée, tuante comme à travers une neige d’écran, et je suis sur le point de me réveiller. Tête plaquée sur l’oreiller, je peux ouvrir un œil sans quitter le sommeil, je peux même dire NON et reprendre le rêve où je l’ai quitté.

 

Ils m’ont gratté avec les doigts ils l’ont arraché à mon ventre. Je ne voulais pas, je voulais résister et je ne pouvais pas. Le liquide est sorti, j’ai commencé à saigner et ils ont entré tous leurs doigts. Ils ont entré leurs dix doigts. Ils m’ont arraché un truc qui ressemblait à un petit foie. Ils me l’ont mis sous le nez pour que je le voie, et ils l’ont donné au chien. Huit heures après le chien s’est soulagé au pied du rosier. C’est une fille a dit le médecin tout sourire c’est un beau début.

 

 

  •  

 

 

Pour un réveil en sursaut, combien de fois je dois appeler pour que la voix gueule ?

 

D’abord le plus net, ce sursaut qui ramène parmi les sons quand la tête se superpose de nouveau à la tête, et gémir avec une nuit entière dans la gorge. Cette fois il faudrait se souvenir, graver deux ou trois mots dans la cire pour les dire au réveil. Mais la cire molle ne fige pas.

 

Parler n’est pas juste après penser, mais juste avant.

Par exemple un mot imprévu peut se ficher dans l’esprit comme une écharde et paralyser la phrase qui était en train de se dire, pour un moment très long (parfois pour de bon).

 

 

  •  

 

 

C’est toi ? J’ouvrais les yeux sur une paire d’yeux contraires, bouche tout sourire, des mots en rafale ça va ? jusqu’à l’issue fatale, c’est aujourd’hui, n’est-ce pas ? 

 

Ta main lourde dans mon dos, c’était donc ça, cette forme brutale, cette force noire ? Non personne ne tue personne. Personne ne barre le chemin. Aucun fils de pute aucun chien, pas de morsure à la peau du dos.

Et si je touche là ? Ça recommence ne crie pas. Je te parle non ça va. C’était moi. D’accord d’accord je touche pas.

 

D’un coup ma tête se décroche et tombe. Elle roule tu la vois. C’est ridicule, elle te regarde encore.

 

Tu sais, tu dors parfois les yeux ouverts et sans rien voir, c’est là : le vent et les falaises, le sang des animaux, les corps mis bas, les effrois de chute, les abandons, l’emploi des mots.

 

 

  •  

 

 

Tu es là ? je tendais le bras pour tâter sous le drap et je le trouvais, il était mou. Il était lourd, il enflait dans ma paume. Et si tu étais réveillé, pourquoi tu ne disais rien ?

Comme si tu étais mort sans souffler je le faisais pour un mort essoufflé, en m’endormant, sans finir.

 

Je me rhabille avec la peau mais il y a toujours un truc qui coule, mon cerveau en sable et ma tête en sac, la lever ça ne se peut pas. Un sac de sable la bouche à l’oreiller si elle se lève la tête ça versera ce sable elle ne peut pas, la tête et dans quel sable est mon corps ça ne se peut pas.

 

Tu crois parler mais tu es en train de fouiller un sexe.

Tu crois être tout près du point chaud, mais tu fais peau avec la peau.

Tu n’as pas d’œil pour voir ton œil.

 

 

  •  

 

 

Tes yeux mon beau sont sales. La peur colle à tes cils. Laisse-moi te les nettoyer. Tu vois je suis là je veille sur toi.

Et si tu dois de nouveau te battre, si tu entraves tes jambes je suis là pour tirer le drap.

 

Tu vois je suis là, et si quelqu’un doit trembler aussi dans cet effroi c’est moi. Un drôle de geste, ce petit retard de l’œil, la main claquée. Un goût d’herbe et de sang mêlés, sourire bouffé dans la bouche.

 

Dehors c’est juin tu vois, midi clair comme prononcer le mot juin ensemble. Le jour est là, et si tu venais avec moi nous irions dans la foule effacer nos mauvaises mines.

 

Et puis. Saisi dans la foule par une stupeur qui dure, qui casse les jambes en pleine journée. Pour cacher un crime qu’on a commis, en commettre un autre.

 

Les paupières compriment les yeux, et tu vois un soleil si brûlant que tu dois les rouvrir vite, pour ne pas t’aveugler.

 

Et soudain le corps brisé net au milieu d’un cri, c’est comme ça qu’on meurt en bâillant, le cerveau plein d’éclats.

 

  •  

 

 

Voici la vie faible, la vie égale, la vie qui a l’étendue pour elle. Bientôt la glissade, tu vas aux muqueuses,

à la nuit où tu te noies vivant, voyant et calme.

 

Mousses, humus, mues de couleuvres au sol, tu finiras par t’y étendre, dans la vie microscopique et brève.

Sur un tapis d’épines de conifères, des carapaces de scarabée bleu, de l’aluminium et des lambeaux de plastique ont repris des formes végétales. Dans les régions que tu parcours, le plus souvent rampant, animal véloce et fuyant, les traces de songes éteints font une surface rugueuse, où on ne dort plus jamais.

 

 

  •  

 

 

Et si tu penses ça ne peut plus durer,

justement

ça dure.

 

- Je respire encore ?

- Oui ça va, mais de plus en plus bas.

 

La douleur là-haut, qui mord les dents,

tu n’entends plus, tu descends.

 

- Je descends ?

- Tu descends.

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