18 chansons pour le grand garçon
1
à la station de métro
y a un type assis là
il attend, il ne monte pas
dans le métro
à la station d’après
y a un type assis là
il attend, il ne monte pas
dans le métro
à la station d’après
y a encore ce type-là
il attend, il ne monte pas
dans le métro
à chaque station de métro
il y a ce type là
il attend, il ne monte pas
et c’est pourquoi
on le voit
à chaque fois :
il attend tous les métros.
quand on est mort, c’est pour longtemps.
ça va
Garçon est patient.
2
dès la naissance, une pensée :
la première pensée,
c’est la plus belle
et la plus nette
de toutes les pensées
on pense à quoi ? on s’époumone,
on croit qu’on pèse
des tonnes.
le premier mot, c’est O
c’est qui mon toto
qui fait du marteau,
c’est qui mon cola
qui fait du tuba
dans tes tuyaux ?
3
en ville Garçon se fait un nom
comme quidam
comme qui dirait
garçon c’est pas un nom.
Garçon, si on
te marche sur les pieds
c’est bien fait
ça prouve que t’es épais
que t’as des pieds
que tu pars pas
en fumée
dans le métro
la femme devant toi
si elle devient
tout à coup
un truc mou
un trou noir
un crime
atroce
que faire ?
crier
ou bien te mordre la langue ou bien
te moucher ?
Garçon t’es fatigué ?
allez on ne fait pas
de ça
une célébrité
jour après jour
tu vis bien au contraire
et pendant la nuit
le monde empire.
4
sur les ponts
Garçon
lève les talons
de peur
que l’eau ne monte
aux genoux
chaque fois qu’il passe
devant un flic
il prend
une balle
perdue oh pardon
quand on perd l’équilibre
on n’est pas
dans son droit
on n’est pas tiens bon
le temps coupe
un garçon
en deux
en quatre
en huit
en quartiers
en fins d’après-midi
en pièces
détachées
et demain,
toujours rien ?
5
dans le métro, dans les magasins,
dans les restaurants parmi les gens,
Animal
les gens font leurs vies
de gens
négligents
sans voir
l’animal
seul Garçon
est seul
à voir
Animal
l’animal est là
sans bouger,
il reste un moment
et repart,
va savoir
si c’est kangourou,
antilope ou minotaure,
personne d’autre
ne voit l’animal,
seul
Garçon est seul
à voir
Animal
il avance,
il menace
Mais en pensée,
sans ruer
sans
bousculer,
en pensée
Garçon s’enfonce
les doigts dans la main
oh la la
c’est pourtant vrai
mais gare
à pas faire crier
les gens
sinon l’animal
méchant.
6
quand tu dors
si ton lit s’envole
tournes-toi vite
sur le ventre.
le matin au réveil
c’est pareil
recommencé
plus qu’une moitié
Garçon n’est pas
tout entier.
on raconte
que deux soeurs jumelles
qui allaient
bientôt mourir le savaient :
elles changeaient
lentement de couleur
l’une devenait
jaune
et l’autre devenait
bleue.
on n’est pas sur terre
avec des idées pareilles
on est
quelque part on flotte
on n’est pas sur terre on est
un garçon sans le sol sous les pieds
- « alors, ça va ? »
- « non, ça flotte »
si on flotte on n’a pas
de place nulle part
c’est parfois
c’est affreux
c’est souvent
flottant
on n’a pas
de poids
ni le centre
de gravité
mais toutes les peines du monde
à rentrer
à la maison.
7
les gens savent pas
ce qu’ils disent quand ils disent
qu’ils sont mal
dans leur peau.
la peau est la seule chose
qui tienne ensemble les morceaux.
la peau tient ensemble
toutes les parties,
où qu’elles soient dans Paris.
les gens savent pas
tenir
leur têtes,
elles gonflent toutes seules
si elles veulent
elles partent
en montgolfières.
le seul truc à faire
c’est de les coincer
bien serrées
entre les genoux
sinon
une fois la tête perchée dans l’arbre :
" descends de là, descends allez, s’il te plait »
que faire ?
botter le tronc ?
implorer la branche ?
fallait y penser
avant.
une fois on a vu
la tête d’un policier
se détacher
elle a roulé
le long de l’uniforme
jusqu’au sol
et au sol
elle fronçait encore
les sourcils
on a eu peur de faire
un faux pas
de marcher
sur la tête détachée
des forces de l’ordre.
8
au supermarché
il y a une femme devant
elle est
au téléphone elle s’appelle
marie
sa langue est pendue
garçon veut toucher
sa langue
il veut la prendre délicatement
entre deux doigts
il veut pas
faire mal
seulement toucher
la langue pendue
de marie pendant qu’elle
téléphone.
marie a la langue
si douce et pendant
qu’elle téléphone
Garçon l’écoute et il pense
« je voudrais vivre avec vous marie
est-ce que je saurais
vous aimer ? »
Garçon vous aime beaucoup Marie
mais parfois il a envie
de vous tirer le bras
de vous arracher
le téléphone
et de le jeter sur le tapis
de la caisse
du supermarché.
9
dans le bus vérifiez
que votre voisin n’a pas
les yeux injectés
de sang d’assassin.
regardez les gens habillés
? Vous les voyez tous nus
sous l’habit
Quand les gens sont assis
serrés
voyez-vous
les sexes écrasés
dans les pantalons ?
quand ils parlent entre eux
si les gens
font du relationnel client
prenez un journal gratuit
faites-en une boule
bien serrée
foutez-leur dedans
la gueule
et fermez.
voyez-vous
dans la bouche des gens
les mots qui n’osent pas parler
qui n’osent pas dire j’arrête
j’y vais pas
je fais un trou
j’attends là.
10
soudain Garçon entend une voix qui débite :
« Garçon t’as pas de culotte, pas de pantalon,
t’as pas de chapeau, t’as pas d’argent,
t’as pas de femme, t’as pas d’auto,
t’as pas de forces, t’as pas d’enfants,
t’as pas de succès, t’as pas de monnaie »
Garçon entend la sommation des voix
et il voit encore ce flic au bout du quai
qui fait des gestes loufoques
pour faire croire aux gens
que le garçon est pédé
qu’il est taré
qu’il finira tout à fait
comme il a commencé,
avec un trou dans le rond du O
Garçon voudrait verser
de la peinture rouge
sur les relations publiques
et le flic dit encore
« le garçon a des saletés plein la bouche,
il crache à longueur de journée
sur les gens qui travaillent ».
les têtes s’approchent et grossissent
à vue d’oeil,
elles vont sur Garçon
sans précaution.
11
le soir, un charcutier
vient arroser ça avec les flics.
ils crachent dans leurs mains
des mots atroces
et après ils coupent
la viande
avec leurs mains salopes
et c’est pareil tous les bouchers
ils fourrent les tuyaux avec la farce
et le rire des collégiennes, à côté de ça
c’est du fil à beurre.
Garçon porte un morceau à la bouche et il entend : « Faut Filer ».
oh la la Garçon, ne mange pas de ce pain-là.
12
lundi la vie honnie
donne envie
de bondir
de pousser des petits cris
de sortir prendre l’air
de donner du pied
dans un ventre mou
dans un trou
atrocement
noir
mais Mardi
c’est pas moi
qu’a fait ça
c’est lui
qui dit
j’y vais pas
je veux pas
cogner
un ventre mou
mais j’y vais
Mercredi c’est promis
en métro vas y
fais comme chez toi
marche sur mes pieds
c’est bien fait ça prouve
que t’es épais
t’as des pieds
tu pars pas en fumée
tu pars pas en trou noir
atrocement mou à force de boire
à force de rire à tort
à travers
tu vas finir
par t’attirer
des ennuis
au matin du Jeudi
c’est fini
c’est lui qui dit
tu vas finir poisson pourri
c’est Vendredi
ça donne envie
de pousser un petit cri
d’ennui
le soir mini on sort
le jour débile on dort
on rêve d’oreiller ami
c’est gentil
et samedi
on manque
d’infini
pour dimanche.
13
face contre terre,
quelque part en France,
Garçon a l’âge de ses artères.
Combien de journées utiles,
combien d’heures en travers ?
chaque jour Garçon dit : « demain je dirais oui »
Est-ce qu’il dit chaque jour pareil ?
non
ce n’est pas celui-là
qu’ils attendaient
qu’on attendait de lui
qu’ils n’attendaient plus,
le garçon a tourné
au coin de la rue.
oh vite,
les idées tombent, le monde liquide,
elles flottent brindilles avec sacs de nœuds.
Vite, une corde bien tendue
laissait penser oh
garçon aimerait tant
tomber à deux
ce serait
tellement plus doux et tellement plus
moelleux
chaque jour,
si Garçon promet maintenant
d'aimer ce qui lui arrive
on verra bien
on verra
demain.
14
comme métier Garçon exerce à domicile,
faussaire de touche à tout :
confessions rétractées, verbes au conditionnel,
fins de mois difficiles, notices d’effacement,
listes de corps regrettables, suicides théoriques, romans-bonheur.
"quoi faire quel besoin d’avoir une vie
qu’il faut nourrir chaque jour,
prendre soin, s’occuper sans cesse ?"
Garçon dépense la monnaie de sa pièce,
il lance le reste au pourboire,
c’est pour le garçon.
15
vendredi
sieste au Luxembourg
estival très glace à l’eau
au kiosque on joue tango.
garçon épelle les femmes, l’arrière des bras, le gras.
dans les rues mondialisées on espère
reconnaître un visage
qui saurait d’abord le visage
qu’on a.
et puis voilà, on marche encore sans but,
on fait hurler la plante des pieds.
et maintenant
panique de japonais qui a perdu son autocar.
dans le métro aérien
sentant que ça vient c’est déjà là :
le cœur coulant à l’intérieur
c’est la baisse brutale
du niveau normal
de réalité.
larmes au dedans
rentrées comme aux supermarchés.
garçon dit « j’avale la distance »,
et quitte la présence.
pluie fine au dehors
et le ciel
comme la peau du lait bouilli.
16
arrêté ensuite,
bientôt on ira se mêler, circuler,
suivant les pensées,
mais de plus en plus bas.
Garçon
sous votre sauvegarde
et à votre attention,
le silence dure, commémoratif,
tandis qu’alentour des choses se passent, vaines.
« maintenant oui
bonjour bonsoir, et quel beau
monde intérieur avez vous là, jeune homme ? quoi,
quelles pensées nombreuses
et intéressantes, à jamais ignorées ? et puis... »
oppressions, affluences, villes de toutes sortes égales, superposées,
agglomérées, insensées,
garçon à présent que la foule aperçoit
et contourne, considère.
on recommence,
toujours les mêmes endroits, toujours pas.
ici vous êtes
ici cependant
avec un visage capable de toutes les grimaces,
identité persistante avec les yeux,
pays pour rien, courses,
trajets pour rien,
les uns debouts au milieu des rues,
les autres assis dans des voitures,
et pour parler une ou deux formules brèves, banales, obstinées,
populations dociles, obstinées, toujours mieux informées
de ce qu’elles peuvent faire,
dire
ou ne pas faire,
dire
après-midi nous irons Garçon,
heures du goudron liquide : routes dorées argentées,
surplomb, répétition, chute incessante,
et on dirait qu’une seule image, le mot de la fin ?
contient tout ça.
Vision dérobée,
revenante et à la fin soustraite :
fait divers dans le ventre, dans la tête.
17
en voiture accélère, Garçon sourdement
une peur ample et l’étreint fermement,
c’est brise lame contre atmosphère,
faiblesse lâchée « par delà les abysses, par dessus les vergers »
quand garçon se jetait aux vagues autrefois,
comme il ébranlait ses os, comme on s’ébranlait.
cogné dans l’eau furieuse, Garçon fendait lame sur lame,
gueulait vent debout « océan, assassin ! »
on était le Garçon
on était prêt à tout
on était tout
près
debout
on était le grand
garçon.
18
maintenant étends-toi ici Garçon.
lâche la mâchoire
et mâche les tensions
respire avec précaution
pour l’air,
modère tes pensées,
là, c'est bien
le pouls s'apaise et le bruit s'éteint.
sur un flanc de colline le soleil dans les yeux
pour voir
et sur tout le nord une ombre
tu habites ce froid
tu touches à tout, entre et tiens-toi droit dans toutes les vues
ton regard c'est partout
où tu es, c’est partout
c'est ton regard.
Tu es chez toi partout,
même chez elle
et celle
qui ne t’accompagne pas
est celle
qui t’accompagne.
souviens-toi, ce qu’on dit dans ces cas-là
souviens-toi des raisons de la joie,
elle t’aime, c’est attachant.
lacets défaits, c’est délicat.
souviens-toi, ce qu’on fait dans ces cas-là
fermer la porte d'une main
pendant qu'on tient demain
de l'autre.
et tu fais la planche, Garçon
tu t'écoules à petits flots,
Allez un petit verre encore,
aspirine verveine,
et au lit !
oui désigne la chose ici.
au matin là, regarde ! quoi ?
là, les cratères !
les deux horribles cratères sur la gueugueule.
après tout c'est ta gueule Garçon, et c’est ta vie.
oh oui tu dis, quoi faire encore aujourd’hui
si ce n'est oui ?
avance
oui
par avance,
et rien
n’a pas d’importance.