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20 chansons pour le grand garçon

1. La toute première pensée

 

 

1

 

La toute première pensée, 

c’est la plus belle et la plus nette 

de toutes les pensées

 

on pense à quoi ? on s’époumone,

on croit qu’on pèse des tonnes

 

le premier mot, c’est O

c’est qui mon toto

qui fait du marteau,

c’est qui mon cola

qui fait du tuba 

dans les tuyaux ?

 

 

 

 

 

2

 

En ville Garçon se fait un nom

comme quidam

comme qui dirait

garçon c’est pas un nom

 

Garçon, si on 

te marche sur les pieds

c’est bien fait

ça prouve que t’es épais

que tu pars pas 

en fumée

 

dans le métro, si quelqu’un devant toi

devient tout à coup un truc mou

un trou noir

un crime atroce

que faire ? 

 

crier

ou bien te mordre la langue

ou te moucher ?

 

Garçon t’es fatigué ?

allez on ne fait pas 

de ça

une célébrité

 

 

 

 

 

 

3

 

Jour après jour

Il vit bien au contraire

et pendant la nuit

le monde empire

 

 

 

 

 

4

 

Sur les ponts

Garçon 

lève les talons

de peur

que l’eau ne monte

aux genoux

 

Chaque fois qu’il passe 

devant un flic

il prend 

une balle perdue 

oh pardon

 

Quand on perd l’équilibre 

on n’est pas dans son droit

 

 

 

 

 

5

 

Le temps coupe

un garçon

en deux

en quatre

en huit

en quartiers

en fins d’après-midi

en pièces

détachées

 

Et demain,

toujours rien ?

 

 

 

 

 

 

6

 

Dans le métro, dans les magasins,

dans les restaurants parmi les gens,

Garçon voit l’animal

 

les gens font leurs vies 

de gens négligents

sans voir

l’animal

 

Garçon 

est le seul à voir l’animal

qui est là 

sans bouger

 

Il reste un moment

et repart,

va savoir

si c’est kangourou,

antilope ou minotaure

 

Personne d’autre 

ne voit l’animal,

seul 

Garçon voit l’animal

avancer,

menacer,

mais en pensée

Sans ruer 

sans bousculer,

en pensée

 

Garçon s’enfonce 

les doigts dans la main

oh la la

c’est pourtant vrai

 

mais gare

à pas faire crier 

les gens

 

sinon l’animal

 

méchant

 

 

 

7

 

Si ton lit s’envole

quand tu dors,

tournes-toi vite

sur le ventre

 

Le matin au réveil

c’est pareil : plus qu’une moitié

Garçon n’est pas

tout entier

 

On raconte 

que deux sœurs jumelles 

qui allaient

bientôt mourir le savaient :

elles changeaient

lentement de couleur

l’une devenait

jaune

et l’autre devenait 

bleue

 

On n’est pas sur terre

avec des idées pareilles,

on n’a pas le sol sous les pieds

 

- « alors, ça va ? »

- « non, ça flotte »

 

Si on flotte on n’a pas

de place nulle part

c’est affreux

on n’a pas

le centre de gravité

et toutes les peines du monde 

à rentrer

à la maison

 

 

 

8

 

Les gens ne savent pas

ce qu’ils disent quand ils disent

qu’ils sont mal 

dans leur peau

 

La peau est la seule chose

qui tienne ensemble les morceaux

 

La peau tient ensemble

toutes les parties,

où qu’elles soient dans Paris

 

Les gens ne savent pas

tenir leur têtes,

elles gonflent toutes seules

si elles veulent

elles partent 

en montgolfières

 

Le seul truc à faire

c’est de les coincer

bien serrées 

entre les genoux

sinon

une fois la tête perchée dans l’arbre :

« descends de là, allez »

 

Que faire ? 

botter le tronc ? 

implorer la branche ?

fallait y penser 

avant

 

Une fois on a vu 

la tête d’un policier

se détacher

elle a roulé

le long de l’uniforme

jusqu’au sol

et au sol

elle fronçait encore 

les sourcils

 

On a eu peur de faire

un faux pas

de marcher

sur la tête détachée

des forces de l’ordre

 

9

 

Au supermarché

il y a une femme devant

elle est

au téléphone elle s’appelle 

Marie

sa langue est pendue

garçon veut toucher 

sa langue

il veut la prendre délicatement

entre deux doigts

il veut pas

faire mal

seulement toucher

la langue pendue

de Marie pendant qu’elle 

téléphone

 

Marie a la langue

si douce et pendant 

qu’elle téléphone

Garçon l’écoute et il pense

« je voudrais vivre avec vous Marie

est-ce que je saurais

vous aimer ? »

 

Garçon vous aime beaucoup Marie

mais parfois il a envie

de vous tirer le bras

de vous arracher

le téléphone

et de le jeter sur le tapis

de la caisse

du supermarché

 

 

 

 

10

 

Dans le bus vérifiez 

que votre voisin n’a pas

les yeux injectés 

de sang d’assassin

 

Regardez les gens habillés

 

Vous les voyez tous nus 

sous l’habit

Quand les gens sont assis

serrés

voyez-vous 

les sexes écrasés

dans les pantalons ?

 

Quand ils parlent entre eux 

si les gens

font du relationnel client

prenez un journal gratuit

faites-en une boule

bien serrée

foutez-leur dedans 

la gueule

et fermez

 

Voyez-vous 

dans la bouche des gens

les mots qui n’osent pas parler

qui n’osent pas dire j’arrête

j’y vais pas

je fais un trou

j’attends là

 

 

 

 

11

 

à la station de métro

y a un type assis là

il attend, il ne monte pas 

 

à la station d’après

y a un type assis là

il attend, il ne monte pas 

 

à la station d’après

y a encore ce type-là

il attend, il ne monte pas 

 

à chaque station de métro

il y a ce type là

il attend, il ne monte pas

et c’est pourquoi 

on le voit

à chaque fois :

il attend tous les métros

 

quand on est mort, c’est pour longtemps

 

ça va 

Garçon est patient.

 

 

 

 

 

12

 

Soudain Garçon entend une voix qui débite :

« Garçon t’as pas de culotte, pas de pantalon, 

t’as pas de chapeau, t’as pas d’argent, 

t’as pas de femme, t’as pas d’auto, 

t’as pas de forces, t’as pas d’enfants, 

t’as pas de succès, t’as pas de monnaie »

 

Garçon entend la sommation des voix

et il voit encore ce flic au bout du quai

qui fait des gestes loufoques

pour faire croire aux gens

que le garçon est pédé

qu’il est taré

qu’il finira tout à fait 

comme il a commencé,

avec un trou dans le rond du O

 

Garçon voudrait verser 

de la peinture rouge

sur les relations publiques

et le flic dit encore que le garçon

a des saletés plein la bouche

et qu’il crache à longueur de journée 

sur les gens qui travaillent

 

Les têtes s’approchent et grossissent

à vue d’oeil,

elles vont sur Garçon

sans précaution

 

 

 

 

 

 

 

 

13

 

Le soir, un charcutier 

vient arroser ça avec les flics 

ils crachent dans leurs mains 

des mots atroces 

et après ils coupent 

la viande 

avec leurs mains sales

et c’est pareil tous les bouchers

ils fourrent les tuyaux avec la farce

et le rire des collégiennes à côté de ça 

c’est du fil à beurre

 

Garçon porte un morceau à la bouche et il entend : « Faut Filer »

oh la la Garçon 

ne mange pas de ce pain-là

 

 

 

 

 

 

 

14

 

Lundi la vie honnie

donne envie

de bondir

de pousser des petits cris

de sortir prendre l’air

de donner du pied 

dans un ventre mou

dans un trou atrocement

noir

mais Mardi

c’est pas moi

qu’a fait ça

c’est lui qui dit

j’y vais pas

je veux pas

cogner

un ventre mou

mais j’y vais Mercredi 

c’est promis

en métro vas y

fais comme chez toi

marche sur mes pieds 

c’est bien fait ça prouve 

que t’as des pieds

tu pars pas en fumée

tu pars pas en trou noir 

atrocement mou à force de boire 

à force de rire à tort

à travers

tu vas finir 

par t’attirer 

des ennuis 

au matin du Jeudi 

c’est fini 

c’est lui qui dit

tu vas finir poisson pourri 

c’est Vendredi 

ça donne envie 

de pousser un petit cri

d’ennui

le soir mini on sort

le jour débile on dort

on rêve d’oreiller ami

c’est gentil

et samedi

on manque 

d’infini

pour dimanche

 

 

 

15

 

Face contre terre, 

quelque part en France, 

Garçon a l’âge de ses artères

 

Combien de journées utiles

combien d’heures en travers ?

 

Chaque jour Garçon dit : « demain je dirais oui »

Est-ce qu’il dit chaque jour pareil ?

 

non 

ce n’est pas celui-là

qu’ils attendaient

qu’on attendait de lui

qu’ils n’attendaient plus

le garçon a tourné 

au coin de la rue

 

oh vite

les idées tombent, le monde liquide

elles flottent avec les brindilles et les sacs de nœuds

 

Vite

une corde bien tendue

laissait penser oh

garçon aimerait tant

tomber à deux

 

ce serait

tellement plus doux et tellement plus 

moelleux

 

Chaque jour

Garçon promet 

d'aimer ce qui vient

on verra bien 

on verra

demain

 

 

 

16

 

Comme métier Garçon exerce à domicile,

faussaire de touche à tout : 

confessions rétractées, verbes au conditionnel,

fins de mois difficiles, notices d’effacement,

listes de corps regrettables, suicides théoriques, romans-bonheur

 

"Quoi faire 

quel besoin d’avoir une vie

qu’il faut nourrir chaque jour,

prendre soin, s’occuper sans cesse ?"

 

Garçon dépense la monnaie de sa pièce,

il lance le reste au pourboire,

c’est pour le garçon

 

 

17

 

Vendredi

sieste au Luxembourg estival 

glace à l’eau 

au kiosque on joue tango

 

Dans les rues mondialisées il espère

reconnaître un visage

qui saurait d’abord le visage

qu’il a

 

et puis voilà, il marche encore sans but,

il fait hurler la plante des pieds

 

et maintenant 

panique de japonais qui a perdu son autocar

 

Dans le métro aérien

sentant que ça vient c’est déjà là :

le cœur coulant à l’intérieur

c’est la baisse brutale

du niveau normal 

de réalité

 

Larmes au dedans

rentrées comme aux supermarchés.

garçon dit « j’avale la distance »,

et quitte la présence

 

Pluie fine au dehors 

et le ciel 

comme la peau du lait bouilli

 

 

 

18

 

Arrêté ensuite,

bientôt il ira se mêler, circuler,

suivant les pensées,

mais de plus en plus bas

 

Garçon

sous votre sauvegarde 

et à votre attention,

le silence dure, commémoratif,

tandis qu’alentour des choses se passent, vaines

 

« maintenant oui

bonjour bonsoir, et quel beau

monde intérieur avez vous là, jeune homme ? quoi,

quelles pensées nombreuses

et intéressantes, à jamais ignorées ? et puis... »

 

Oppressions, affluences, villes de toutes sortes égales, superposées, 

agglomérées, insensées,

garçon à présent que la foule aperçoit

et contourne, considère

 

On recommence, 

toujours les mêmes endroits, toujours pas

 

Ici vous êtes

ici cependant

avec un visage capable de toutes les grimaces,

identité persistante avec les yeux,

pays pour rien, courses,

trajets pour rien,

les uns debouts au milieu des rues,

les autres assis dans des voitures,

et pour parler une ou deux formules brèves, banales, obstinées,

populations dociles, obstinées, toujours mieux informées

de ce qu’elles peuvent faire,

dire

ou ne pas faire,

dire

 

Après-midi nous irons,

heures du goudron liquide : routes dorées argentées,

surplomb, répétition, chute incessante,

et on dirait qu’une seule image, le mot de la fin ?

contient tout ça.

 

Vision dérobée,

revenante et à la fin soustraite :

 

Fait divers dans le ventre, dans la tête

 

19

 

En voiture accélère sourdement

une peur ample et l’étreint fermement,

c’est brise lame contre atmosphère,

faiblesse lâchée « par delà les abysses, par dessus les vergers »

 

Quand garçon se jetait aux vagues autrefois,

comme il ébranlait ses os, comme il cognait

l’eau furieuse, Garçon fendait lame sur lame, 

gueulait vent debout assassin !

 

On était le Garçon

on était prêt à tout

on était tout

près

debout

on était le grand

garçon

 

 

20

 

Maintenant étends-toi ici Garçon

lâche la mâchoire et mâche les tensions 

respire avec précaution 

pour l’air,

modère tes pensées,

là, c'est bien, le pouls s'apaise et le bruit s'éteint

 

Sur un flanc de colline le soleil dans les yeux

pour voir

et sur tout le nord une ombre

tu habites ce froid

tu touches à tout, entre et tiens-toi droit dans toutes les vues 

ton regard c'est partout 

 

Tu es chez toi partout,

et celle qui ne t’accompagne pas

est celle qui t’accompagne

 

Souviens-toi, ce qu’on dit dans ces cas-là

souviens-toi des raisons de la joie, 

elle t’aime, c’est attachant

lacets défaits, c’est délicat

 

Souviens-toi, ce qu’on fait dans ces cas-là

fermer la porte d'une main 

pendant qu'on tient demain 

de l'autre.

 

Et tu fais la planche, Garçon

tu t'écoules à petits flots,

Allez un petit verre encore,

aspirine verveine,

et au lit

 

Oui désigne la chose ici

 

Au matin là, regarde, les cratères !

les deux horribles cratères sur la gueugueule.

après tout c'est ta gueule Garçon, et c’est ta vie

 

Oh oui tu dis, quoi faire encore aujourd’hui

si ce n'est oui ?

 

Avance

oui

par avance,

 

et rien 

n’a pas d’importance.

3. bien au contraire
4. oh pardon
5. pièces détachées
6. L'animal
7. plus qu'à moitié
8. Les têtes
9. Marie
10. les voisins
11. un type
12. La sommation
2. comme quidam
13. mots atroces
14. La vie honnie
15. face contre terre
16. pourboire
17. la plante des pieds
18. sauvegarde
19. océan
20. oui
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