Sauf riverains
A l’heure du goudron liquide, vous irez vous mêler, circuler, suivant vos pensées, mais de plus en plus bas.
Route barrée, par arrêté, sauf riverains.
L’espace sans plus cogner, appelez-le central.
C’est sûr, quelqu’un dans votre dos imite tous vos gestes.
Avec le corps qu’on vous prête, vous ne sauriez vous enfuir.
Sans mobile apparent, une station prolongée sur le trottoir est forcément suspecte.
Du droit des foules à disposer d’elles-mêmes,
en long, en large, en travers, rumeurs de fortes perturbations dans le sens des départs :
un caprice soudain, un faux pas, le genou fléchit et le corps en mauvaise posture
rase les murs, sous les feuillages ou face contre terre,
cherche où disparaître : ici même,
auprès du minuscule, du bref et de l’étendue.
Sans vous soustraire aux regards, non moins qu’aux signes,
votre hébétude,
un oeil pour voir votre œil.
Sous surveillance, d’autres personnes persistent, et perpétuent leurs gestes, incompréhensibles.
La ville dure, commémorative.
Attentifs ensemble,
à ce qu’on peut faire, dire ou ne pas faire, dire.
Pour votre confort et votre sécurité, ceci est votre corps que la foule aperçoit et contourne, considère, à distance.
Oui bonjour bonsoir, on peut vous aider, quoi, et quel remuement intérieur avez-vous là ?
et puis allez circulez bonne journée,
empruntez les rues qui vous laisseront traverser.
Prenez une heure de repos le long d’une bande d’arrêt d’urgence,
suivant un écoulement horizontal, prenez une heure de repos sans engagement :
les yeux fermés, listes des sonneries et lumières à l’intérieur.
Réduisez avantageusement votre pensée aux techniques de captation que nous inventons pour elle.
Lancez un signal de votre espèce,
d’une main décrivez un geste heureux, métonymique de millions de cellules
qui passent par toutes les formes de l’abandon.
Lancez des signaux de votre espèce, rumeurs de fortes perturbations dans le sens de l’épaisseur des corps.
Faites signe aux semblables, repoussez leurs limites.
Cherchez les relations d’esquive, profitez d’inattentions civiques, adaptées du grand usage familier.
L’espace sans plus jamais se cogner,
appelez-le central,
un axe à regagner sans cesse sur la névralgie.
Comment, atteint d’encéphalite, vous ne pourriez plus ni avancer ni reculer,
mais seriez toujours capables de danser.
Dans le tumulte que font les autres, vous pensez être le seul
à entendre battre vos tempes,
le seul à pouvoir vous tenir là, dans ce corps, dans ce nom,
dans ce pronom personnel de la deuxième personne du pluriel
que l’on vous prête.
Si parfois il vous semble vous souvenir de choses que vous n’avez pas vécues.
Si aujourd’hui encore, une idée à vous
ne vous est pas venue
à l’idée
si une déflagration
vous envoie voler
en éclats
et si vous retombez
sur vous-même
instantanément
si bien
que vous rendez l’âme
sans perdre connaissance.
Attention vous avez un trou, un défaut d’aspect ici.
Souvenez-vous, à un moment votre nom ne vous touchait plus,
ou bien il ne vous touchait plus que d'une extrémité, une voie ouverte à d'autres antennes,
une mouche, une pluie,
au hasard ?
Bien sûr, ce n'est pas si souvent que quelqu'un soit trouvé couché par terre.
Mais quand il s'agit de douleur,
on devrait quand même arriver à se mettre d’accord sur quelques adjectifs ?
Les mouches tomberont comme des mouches.
Et quand on vous réveillera et qu'on vous laissera sur le bord de la route,
vous vous sentirez comme tiré du sommeil et laissé sur le bord de la route.
Les foules peuvent bien s'approcher, forcément déçues.
Un homme, dix hommes, un peuple tout entier peut bien se coucher par terre,
il ne se passe jamais rien.
