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Enuma Elish revisited
(empire du patriarcat)

En haut, pas de nom.

En bas, pas de nom.

Pas encore.

Le ciel et la terre ne sont pas nommés.

Les eaux n’ont pas de noms, elles sont mélangées. Eaux douces, eaux salées, elles sont mélangées.

Nul n’a de nom, rien n’est loti de destin.

Cannaies de roseaux agglomérés, les choses sont là, sans nom, personne ne les voit.

 

Des sédiments premiers, aux quatre extrémités du monde, viennent les Eternels.

Ils viennent au centre, où ils s’assemblent.

Les Éternels sont ceux qui nomment les choses à venir.

Les choses nommées, ils les lotissent de destins.

 

Là où les horizons étaient unis, ils séparent le nuage de la vase : le ciel et la terre sont écartés, ils sont nommés.

Là où les eaux étaient mélangées, ils séparent les eaux salées des eaux douces :

Père et Mère.

Les eaux séparées, leurs noms sont prononcés :

Père et Mère.

 

Les cannaies sont séparées, les roseaux sont nommés.

Les animaux qui volent, les animaux qui nagent, ceux qui courent et ceux qui rampent, les êtres et les choses sont séparés, les êtres et les choses sont nommés.

Les choses passent dans la corruption.

Les corps passent dans la génération.

Les noms demeurent.

Ceci fait, les Eternels retournent aux sédiments premiers, aux extrémités du monde nommé.

 

Au centre du monde règnent en majesté Père et Mère.

Ils sont nés des eaux douces et salées, séparées.

Tous deux ils sont sublimes, ils resplendissent.

Ils sont paisibles et laborieux. Ils ajoutent les jours aux nuits, ils ajoutent les saisons aux saisons, ils s’unissent à longueur d’étés.

Ils s’unissent jusqu'à ce que, du ciel et de la terre bien nommés, des fils leur naissent.

 

Père et Mère ont engendré des fils. Ce sont les premiers nés.

Père et Mère les regardent et voient qu’ils sont pareils à la Mère !

Oui, les fils ressemblent à la Mère, ils resplendissent comme elle.

Père les regarde encore, et puis il regarde ailleurs.

Comme ses fils ne lui ressemblent pas, il s’en détourne. Il ne fixe pas de destin pour eux.

A peine ont-ils grandi que d’autres enfants naissent de l'union de la Mère avec ses fils, pareils aux premiers, et semblables à la Mère, resplendissants comme elle.

Les fils issus de ces fils, ce sont les seconds nés.

Ils admirent leurs frères, qui sont leurs pères, et la Resplendissante qui est leur Mère.

 

Le Père n’a de regard ni pour les premiers ni pour les seconds nés, car aucun d’eux ne lui ressemble.

Il regarde ailleurs.

 

Mais bientôt des discordes éclatent parmi les premiers nés, malgré leur fraternité.

Ils grondent et s’exaltent, se frappent le ventre et se battent, leurs clameurs résonnent sur la terre. Ils secouent le ciel avec leurs danses folles. Ils sont fiers, leur comportement est mauvais, et leur turbulence est sans fatigue.

 

Navrés, les Parents s’assoient.

Père parle ainsi à Mère :

« Les nuisances de tes fils sont insupportables : on ne peut pas se reposer le jour, et la nuit on ne peut pas dormir. Ils s’agitent et s’exaltent. Ils font cela car je n'ai pas fixé de destin pour eux. Voilà ce que je vais faire : je les supprime et je les disperse ! Enfin nous aurons la paix et nous pourrons dormir. »

 

Ainsi Père parle à Mère. Il la regarde.

Elle en est irritée et se désole. Son coeur est blessé, elle crie et se lamente :

« Pourquoi veux-tu détruire les enfants que nous avons faits, les fils que tu m’as donné ? Leurs nuisances sont mauvaises, certes, mais avec un peu plus de patience, nous pourrions les supporter ».

 

Quand il entend cela, Père fait mine de s’émouvoir, et il étreint son épouse.

Mais tandis qu’il la console, son visage se détourne et son oeil s'allume : il décide en silence la destruction des premiers nés. Il embrasse la Mère. Pendant ce temps, plein de cruauté, il décide la mort de ses propres fils.

 

En secret, il prononce le mot qui charme les eaux. Il verse le sommeil dans les oreilles des fils : vaincus par le sommeil, il s’endorment. Les eaux douces s’endorment. Les fils sont livrés au Père.

 

Alors Celui qui Gouverne aux Destins revêt son Manteau Radieux et place sur lui-même l'Auréole de Royauté. Il desserre sa ceinture et attache ses fils premiers-nés. Il les ligote et il les tue.

Après avoir massacré ses propres enfants, il pousse son cri triomphal au-dessus d'eux.

 

Puis il retourne au logis et se repose.

Père Tranquille, il connaît de nouveau la paix. Il resplendit.

Découvrant le massacre des aînés, les seconds nés sont brisés.

Leurs yeux se brouillent, leurs voix se cassent entre les lèvres, ils plient sous l’effet du chagrin. Ils sont subjugués, ils sont orphelins.

Fière, Mère se tait.

Elle ne resplendit plus.

 

Depuis lors, Père le Lumineux - il juge vraiment et persuade toujours - se repose paisiblement à l'intérieur de son domaine. Il a pris possession des eaux et y a fondé son Temple, où il a élu domicile, pour lui et son épouse.

Les seconds nés y sont tolérés. Tandis que tous demeurent dans la splendeur du temps, la Resplendissante se tait. Elle ne resplendit plus. Les orphelins sont inconsolables et ils se taisent aussi.

 

 

-

 

 

Mais voilà qu’un jour, dans la Chambre des Destins, dans le Hall des Conceptions, dans l'Abîme des Eaux,

un nouveau Fils est créé.

Son père l’a engendré, sa mère l'enfante, et elle l'allaite.

Son père le voit et se réjouit, son cœur s’exalte.

Il voit qu’il a conçu un Fils parfait, car il est en tous points semblable à Lui.

Et même supérieur à Lui.

Ses yeux sont quatre et sa vue est sans limites !

Quand il ouvre les yeux, des lumières en sortent !

Ses oreilles sont quatre et il entend tout !

Quand le Fils remue les lèvres, un feu flamboyant sort de sa bouche !

Ses membres sont gigantesques, son pas est majestueux,

il est fort, il porte la gloire du Père, et les éclairs tourbillonnent autour de lui !

 

« Mon fils, enfant du soleil, et soleil du ciel ! », s’exclame Celui dont la Compréhension est Profonde.

Il le baise, il l’habille du Manteau Radieux et cinq rayons puissants se groupent au-dessus de lui.

Pour amuser son fils, Père Joyeux créé quatre vents et les met dans les mains agiles de l’enfant.

 

Le Fils chéri aime à jouer avec les vents nouveaux, il fait gonfler les ouragans et gronder le tonnerre, il excite la foudre. Sous l’œil ravi du Père, il frappe la Terre de ses danses, il dompte l’éclair et secoue le ciel.

 

Mais bientôt ces vents furieux et ces orages tourmentent les seconds nés.

Leurs chagrins sont ravivés par l’agitation du Favori, et ils ne connaissent plus de repos. Leurs coeurs sont amers, leurs bouches sifflent.

 

Alors ils s’approchent de la Mère et lui disent :

"Mère, tu es muette, tu ne nous regardes plus, mais entends la plainte de tes fils. Père a ligoté tes fils premiers nés, nos frères, nos pères, et tu ne leur as porté aucun secours. Il a tué les fruits de ta chair et tu n'as pas remué.  Maintenant il a engendré ce Fils et pour l’amuser, il a appelé des quatre parties du monde ces vents furieux avec lesquels il nous harcèle. Nous ne pouvons plus nous reposer. Mère, rappelle à ton cœur le souvenir de tes enfants meurtris, souviens-toi leurs chairs enlevées à ta chair, rappelles-toi ce qui a été défait ; tu étais la Resplendissante, tu ne resplendis plus. Tu avais des fils pareils à toi, il les a massacrés. Maintenant tu as un fils qui ne te regarde pas et un époux qui ne regarde que son fils ; tu es seule et muette, désolée ! Et nous, nous avons perdu ton amour. Nous soupirons après toi. Réveilles toi, notre Mère ! Venges toi, et venges-nous. Dérobe à ton époux les Tablettes du Destin avant qu’il ne les mette au cou de son Fils favori. Un seul mot de toi, et nous marcherons à tes côtés !».

 

Elle ne dit rien. Elle écoute son tourment.

Les seconds nés grondent et se pressent autour d’elle.  

 

Après avoir longuement réfléchi, elle dit :

"J'approuve ce conseil. J’ai été trompée. J’ai été meurtrie. J’ai été humiliée et je me suis tue. J’ai souffert dans ma chair la perte de mes fils, et je me suis tue. Mais voilà que Celui qui a tué les fruits de ma chair enfante un Fils pareil à Lui. Il lui a donné le Manteau Radieux, et a crée pour lui quatre vents furieux. Depuis, cet enfant ne cesse de tourmenter le ciel et la terre, avec ses orages puérils. Nous ne connaissons plus de repos. C’en est trop. Je vengerai mes fils. Je vengerai vos pères. Je vous donnerai un destin. Voici mon plan : couvrez-moi, ensemencez-moi, et j’engendrerai des monstres. Avec les monstres, vous marcherez contre eux ».

 

Ils grognent furieusement, et tout le jour, toute la nuit, ils se bousculent pour la couvrir.

 

Bientôt, la Mère enfante une couvée de monstres :

Elle engendre le géant lombric, il porte au front un halo tuant,

Elle engendre le serpent rouge, il gronde douloureusement,

Elle engendre l'aigle léontocéphale.

Elle engendre l'hydre cornue, le dragon douloureux, le monstre aux longs cheveux.

Elle engendre l'homme-lion et le chien écumant la terreur.

Elle engendre l'homme scorpion, l'oiseau-tempête, l'homme-poisson et le capricorne.

 

Elle a engendré ces douze monstres invincibles.

Celui qui voit ces monstres voit sa mort car quand ils s'élancent, ils ne reculent plus.

 

Ensuite, parmi ses étalons elle désigne celui qui l’a couvert le plus vaillamment. Elle le fait lever dans l'assemblée. Elle l’exalte et le fait général de son armée :

« Tu es le plus vaillant parmi les fils de mes fils, maintenant tu es mon époux ! Vous autres, exaltez son nom au-dessus de tout autre nom ! »

 

Les Tablettes du Destin qu'elle a dérobée, elle les fixe à son cou :

« Que ma parole demeure dans ta bouche, et ton destin ne changera plus !»

 

C’est ainsi qu’il reçoit l'autorité volée.

 

 

-

 

 

Ces rumeurs parviennent aux oreilles du Père.

Le Lumineux, il est assommé.

Il s’assoit dans le silence et l'obscurité, jusqu'à ce que sa fureur passe.

 

Alors il se tourne vers son Fils adoré :

« Ta génitrice te déteste. Elle a fait venir sur elle les fils de ses fils, elle en a fait ses putains. Ensemble ils se sont bousculés pour la couvrir, tout le jour et toute la nuit. Ils grognaient furieusement. De la semence des fils de ses fils, elle a enfanté une couvée de monstres :

Elle a engendré le géant lombric, il porte au front un halo tuant,

Elle a engendré le serpent rouge, il gronde douloureusement,

Elle a engendré l'aigle léontocéphale.

Elle a engendré l'hydre cornue, le dragon douloureux, le monstre aux longs cheveux.

Elle a engendré l'homme-lion et le chien écumant la terreur.

Elle a engendré l'homme scorpion, l'oiseau-tempête, l'homme-poisson et le capricorne.»

 

Elle a engendré ces douze monstres invincibles. Celui qui voit ces monstres voit sa mort car quand ils s'élancent, ils ne reculent plus. ».

 

A ces mots, l’angoisse étreint le cœur du Fils. Il se couvre la bouche, il étouffe un gémissement.  

 

Le Père continue :

« Ensuite, parmi ses étalons elle a désigné celui qui l’a couvert le plus vaillamment, et elle l’a élevé au rang de général de son armée. Elle a exalté ce verrat et l’a fait chef pour mener son armée au combat. Elle lui a donné les Tablettes du Destin et les a fixé à son cou. Elle a mis sa parole dans la bouche de l'infâme, de sorte que son destin ne change plus ! C’est ainsi qu’il a reçu d’elle l’autorité qui te revient, de moi à toi ».

 

Le Fils reste muet, il regarde fixement la terre en se tirant les cheveux. Il secoue la tête, il se tait.

La colère gronde en lui, mais il attend une parole du Père.

Alors Celui qui Juge Vraiment et Persuade Toujours, dit à son Fils :

« Qui lui fera la guerre ? Qui de nous deux est le plus jeune ?  Toi, Fils radieux, soleil, héros, toi seul est assez fort pour nous venger, tu es le seul qui puisse laver le monde de cette infamie ».

 

Le Fils exulte, il embrasse les lèvres du père et efface son tourment.

Il parle :

« Quoi, qui ose te menacer ? Une génisse ? Tu verras, je la briserai ! ».

 

Le Père se tourne vers le Fils :

« Mon cher Fils, tu réchauffes mon cœur. Ta nourrice te déteste, et cela est contre la destinée. Je te donnerai les armes incomparables, l’orage sera ton char et te mènera à elle par le plus droit chemin. Quand tu la verras, dresse-toi pour lui parler : quand elle te verra, toi et les insignes, elle se tapissera ».

 

Le Fils exulte, et dit bravement au Père :

« Père adoré, Toi qui Sais, je jure d’être ton vengeur, de sauver nos vies et de laver le monde de cette infamie. Mais laisse-moi parler et accorde-moi ce que je vais demander. Convoque l’Assemblée, fais venir ici les Eternels, depuis les sédiments primitifs, depuis les quatre extrémités du monde, convoque tous ceux qui ont part à la nature et nommèrent les choses, invite-les à s'asseoir, verse leur à boire et sers leur à manger, qu’ils se régalent, qu’ils mangent et qu’ils boivent, qu’ils parlent, et qu’ils me confirment dans mon destin de vengeance ! Que l'Assemblée des Éternels me donne alors la priorité ; et au lieu de voter des décrets sur de nouvelles choses à venir, qu’ils se reposent enfin ; Je veux les convaincre de me laisser faire la loi, maintenant et pour jamais. Ce sera moi et personne d’autre. Je déciderai de la nature du monde, et je nommerai les choses à venir. Les tablettes du destin me reviendront, mes décrets ne seront jamais changés. Ma création supportera les extrémités du monde. »

 

Comme les mots se bousculent à ses lèvres, il dit encore :

"Père, tu es le Conseiller, Celui dont la Compréhension est Profonde. Convoque l’Assemblée ».

 

 

-

 

 

Convoqués depuis les sédiments primitifs, depuis les quatre extrémités du monde, tous ceux qui sont la vraie nature et le nom des choses s’en viennent à l’assemblée et l’assemblée se remplit. Dans le Hall ils s’assoient.

Alors la voix héréditaire leur dit :

« Vous autres qui êtes la nature du monde et nommèrent les choses, écoutez ce que j’ai à vous dire. Ma Mère était la Resplendissante, elle est aujourd’hui une truie odieuse. Elle a fait venir sur elle les fils de ses fils, elle en a fait ses putains. Ensemble ils se sont bousculés pour la couvrir, tout le jour et toute la nuit. Des fils de ses fils, elle a engendré une couvée de monstres :

Elle a fait le géant lombric, il porte au front un halo tuant,

Elle a fait le serpent rouge, il gronde douloureusement,

Elle a fait l'aigle léontocéphale.

Elle a fait l'hydre cornue, le dragon douloureux, le monstre aux longs cheveux.

Elle a fait l'homme-lion et le chien écumant la terreur.

Elle a fait l'homme scorpion, l'oiseau-tempête, l'homme-poisson et le capricorne.

 

Elle a engendré ces douze monstres invincibles. On raconte que celui qui voit ces monstres voit sa mort car quand ils s'élancent, ils ne reculent plus. C’est ce qu’on raconte.

 

Ensuite elle a désigné parmi ses étalons celui qui l’a couvert le plus vaillamment. Elle l’a exalté et l’a élevé au rang de général de son armée. Elle lui a donné les Tablettes du Destin. Quoi, ce putain à l’odeur de verrat, elle lui a donné les Tablettes du Destin, elle les a fixé à son cou ! Que la parole d'une folle reste dans sa bouche, moi j’annulerai son destin !

 

Car sur les conseils de mon Père, son âme est lumineuse, j’ai accepté d'aller rencontrer la vieille, et de la défaire.

 

Mais d'abord j’ai déclaré ceci, et mon Père, Lui dont la Compréhension est Profonde, m'est témoin : Vous autres, qui êtes la nature du monde et le nom des choses, si je dois être votre vengeur, si j’épargne vos vies, que l'Assemblée me donne alors la priorité ; et au lieu de voter des décrets, vous pourrez vous reposer. Maintenant et pour jamais, laissez moi faire la loi. Ce sera moi et non plus vous. Je déciderai de la nature du monde, et des choses à venir. Les Tablettes du Destin me reviendront, mes décrets ne seront jamais changés, ne seront jamais annulés, et ma création supportera les extrémités du monde ».

 

« Et maintenant, confirmez mon destin, que je puisse batailler la Mère au plus tôt, et laver le monde de son infamie ».

 

Dans le Hall la voix héréditaire a résonné.

Quand ils entendent ceci, tous murmurent ensemble, ils gémissent :

« Quelle décision étrange et terrible, elle est trop difficile pour nous ! ».

 

Mais voilà qu’on leur verse du vin et qu’on leur apporte des mets somptueux. Ils mangent le pain qui les rassasie et boivent le vin qui les saoule, ils souillent leurs mentons en buvant la douce liqueur. Ils parlent entre eux.

 

Ils placent un vêtement au sol, au centre de l’Assemblée, et le plus âgé d'entre eux s'adresse au Fils :

«Toi, Fils radieux, si tu prétends présider aux noms des choses et aux destinées, décide de ruiner ou de créer, parle seulement et il en sera ainsi. Ouvre la bouche et le vêtement disparaîtra ; parle à nouveau et le vêtement reviendra, intact ! »

 

En effet le Fils parle et le vêtement disparaît. Il parle de nouveau et le vêtement revient, éclatant. Quand les Éternels voient la puissance de sa parole, ils se réjouissent et lui rendent hommage :

« Tu es notre Roi ! »

 

Ils lui font porter le Sceptre, le Trône et l'Arme Incomparable qui repousse les ennemis :

« Va et ôte la vie à la Femelle ; que les vents emportent son sang aux extrémités secrètes du monde ! »

 

Ils lui préparent un trône princier. A la vue de tous, le Fils s’assoit dessus pour recevoir le gouvernement.

Ils lui disent :

« Tu es plus grand que tous les autres, ta renommée est plus juste, la parole qui t’est donnée est la parole du ciel, plus puissante que toute chose, nommée ou innommée, plus longue que toute destinée.

Tes yeux sont quatre et ta vue est sans limites.

Quand tu ouvres les yeux, de grandes lumières en sortent.

Les éclairs tourbillonnent autour de toi.

Tes oreilles sont quatre et tu entends tout.

Ton pas est majestueux, tes membres sont gigantesques et un feu flamboyant sort de ta bouche quand tu parles. Tu es fort et tu portes la gloire de cent d'entre nous.

Tu es notre vengeur ! Nous t'accordons la souveraineté sur tout l'univers !

Epargne la vie de ceux qui se tournent vers toi ; mais quant à ceux qui conçoivent le mal, ouvre leurs corps et laisse leurs vies se répandre au dehors. »

 

Ils l'habillent dans une longue robe de Roi, le Sceptre et le Trône lui sont donnés, et les Armes Incomparables contre l'adversaire.

Son cœur se remplit de feu.

Il fait un arc, il place la flèche contre la corde, dans sa main droite.

Il fait un filet capable de retenir les vents.

Il lève la massue et met sur son front l’Éclair de Royauté.

Avec la massue et le filet tenus près de son aine, avec l’arc tenu dans sa main droite, il s'en va.

Il monte sur le Char-Tempête. Il crée les Ouragans et fait surgir sept vents nouveaux de la tourmente : le Vent Atroce, la Rafale, le Tourbillon, la Mousson, l'Ouragan, le Quadruple-Vent et le Septuple-Vent, le vent le plus terrible de tous. Chacun des sept vents est créé puis libéré.

Il attelle le Quadrige d'Orage au nom de Terreur, son chariot terrible, rênes accrochées au côté, et attelle l'équipe épouvantable :

Sur sa droite est Meurtrier, le meilleur dans la mêlée, qui arrache les cœurs à mains nues.

Sur sa gauche est Bataille-Fureur, qui souffle une haleine de mort.

Tueur sans Pitié, le plus courageux, enroulé dans une armure.

Terreur.

Saut en Longueur.

Auréoles Horribles.

Dents pointues et Empoisonnées.

Rapidité, des mots magiques entre les lèvres.

Tous connaissent les arts de la guerre.

Comme la foudre ils filent vers elle.

 

 

-

 

 

Au champ de bataille, Mère les attend, postée sur une éminence, à la proue de son armée, piétinant la terre d’impatience. Elle tient entre ses mains une plante atroce qui crache du venin, elle l’agite au dessus d’elle pour effrayer les arrivants.

 

Mais les valeureux s’approchent sans peur. Ils se tiennent droits et fiers sur la colline opposée. Le Fils Vengeur retient l’ardeur de son équipe, car il veut d’abord scruter l’armée ennemie.

 

Il observe, rangés derrière la Mère, la troupe des seconds fils, et les monstres ignobles nés de leurs étreintes. Son œil s’arrête sur l'époux d’elle, l’infâme étalon, le fils putain à l’odeur de verrat. Celui-ci le voit et son œil se trouble. Il hésite. Ses frères aussi ont les yeux brouillés quand ils voient le regard flamboyant du Fils.

 

La Mère est en furie, les veines sortent de son cou, elle hurle, elle lance des défis et crache de ses lèvres amères :

« Fils odieux, je t’ai allaité, tu ne m’as jamais regardé, et tu oses me défier ? Te crois-tu si important pour t'élever au dessus de moi ? »

 

Dans la vallée, l’Ouragan se lève.

Alors le héros jette ses mots au dessus de la vallée :

« Mère infâme, pourquoi as-tu enfanté la guerre ? Tu maltraites ta progéniture. Tu conçois des monstres avec elle. Tu jettes la turbulence dans les destins. Tu as élevé à un pouvoir illégitime ce putain à l’odeur de verrat. Je suis venu lui reprendre les Tablettes du Destin, car elles me reviennent. Je déciderai de la nature du monde, et des choses à venir, mes décrets ne seront jamais changés, ne seront jamais annulés, et ma création supportera les extrémités du monde. Si tu t’y opposes, lève-toi, seule, et ose t’affronter à moi en combat singulier ».

 

Comme elle entend cela, elle perd ses esprits. Elle est possédée de fureur et pousse des cris pénétrants, ses jambes s’agitent, elle profère des malédictions. Depuis leurs collines opposées, la Mère et le Fils s’élancent dans la vallée, où l’Ouragan les précèdent. Ils se heurtent avec fracas.

 

Alors la Terrible Mère ouvre son énorme bouche amère, folle de venin, pour engloutir le Fils.

Alors le Fils Prodigieux pousse les sept vents de la colère dans sa gueule ouverte : elle ne pourra plus la fermer. Puis il lance son filet sur elle, et le tire pour l’empêtrer. Les vents fouettent et déchirent la gueule de la Mère, qui hurle et se débat en vain. Alors il tire une flèche dans son ventre : la flèche perce l'intestin, elle coupe l'utérus. La Mère tombe.

 

Le Fils pousse alors son cri triomphal au dessus d’elle. Le silence retombe sur la vallée.

 

Maintenant qu’il a vaincu sa Mère, qu'il a pris sa vie, il jette la carcasse aux pieds de l’armée ennemie. Comme ils la voient brisée, ses soldats se tapissent. Ceux qui voulaient combattre avec elle tremblent maintenant dans la terreur. Pour sauver leurs vies, ils tournent les talons. En un seul cri majestueux, l’armée du Fils fond sur les lâches, et les tient en cercle serré. Il n'y a plus d’issue pour eux, ils sont piétinés. Quand les douze monstres veulent résister, le Vainqueur les met un par un dans les chaînes, il incarcère la couvée infâme, et leur brise les membres. Il casse leurs armes et les jette dans le filet ; quand ils se voient à l'intérieur du piège, ils pleurent. La bande démoniaque, il la piétine du talon et la rentre en terre.

 

Quant à l'usurpateur, le putain à l’odeur de verrat, le faux chef qui a usurpé son rang, il est dépouillé des Tablettes du Destin, qui ne lui revenaient pas.

Incarcéré avec les autres vaincus, il est humilié.

D’un boyau de la Mère, le Fils lui fait une couronne.

Quand ils voient cela, les vainqueurs se plient de rire.

 

Le Fils revient en vainqueur au centre du monde. Sa troupe est fière, elle exhibe les monstres défaits, et parmi les prisonniers minables, l’infâme couronné.

 

Quand les Éternels voient le cortège triomphal, ils rient bien fort, et ils envoient des présents au Fils Vainqueur. Ils lui envoient les hommages reconnaissants. En retour, les douze créatures que la Mère ténébreuse avait crées sont changées en statues pour que le triomphe ne soit jamais oublié. Le Fils les donne au Père en riant :

« tu peux en orner les jardins du Temple ! »

 

 

-

 

 

Après avoir scellé les Tablettes du Destin à sa propre poitrine, le Fils revient sur le corps de la Mère.

Il lui écrase le crâne avec une massue, il coupe les artères et le sang coule, emporté par les quatre vents aux extrémités du monde.

 

Maintenant, il se repose ; il regarde fixement le corps énorme, considérant comment l'employer.

 

Il coupe longitudinalement le cadavre comme s’il s’agissait d’un poisson séché.

 

Avec la moitié supérieure il construit la nouvelle Arche du Ciel.

 

Ensuite, en traversant les espaces il inspecte toutes les régions et, mesurant l'Abîme, il établit sa nouvelle demeure sur lui.

 

Avec la moitié inférieure, il pétrit le Relief d’un monde.

Il fait de ce grand Palais son image terrestre.

A ses bords, il place des gardiens pour interdire la recrue des eaux anciennes.

Il recrée à sa convenance les cieux et la terre et établit leurs nouvelles limites.

Alors il construit des maisons pour les Éternels en les illuminant avec des étoiles.

 

Il étire l'immensité du Firmament. Chacun y aura sa Station Céleste : il réserve des lieux dans le ciel, il donne aux étoiles des constellations.

Il mesure l'année, lui donne un commencement et une fin, et décide qu’à chacun des douze mois trois étoiles devront se lever.

Sur les côtés, il renforce les verrous à droite et à gauche. Il place entre les deux le Zénith.

Il règle la rencontre du jour et de la nuit, et il place la brillante étoile de son arc à la vue de tous.

Il divise la Lumière en deux sections célestes, au Nord et au Sud.

 

Au milieu de l'Obscurité, il prend soin d'illuminer.

 

Ensuite, revenant vers la Mère morte, il lui prend sa salive et forme avec elle les Nuages.

Avec sa tête il produit les Montagnes et fait couler le Tigre et l'Euphrate de ses yeux.

 

Finalement, avec ses seins il crée les grandes Montagnes et y perce des Sources pour que les puits donnent de l'eau.

 

En terminant son œuvre, il est exalté par les Éternels.

Alors en signe de reconnaissance il leur dit :

« Je vais pétrir du sang et former des os.

Je vais faire cela pour susciter un corps, je lui donnerai le nom d’homme.

Il se vouera à vous, pour que vous puissiez demeurer éternellement à votre aise ! »

 

Il fait amener les captifs ennemis et leur faux chef, et sous les yeux de tous, il l’accuse :

"C’est toi qui a rendu la Mère rebelle. Tu l'as engrossé de ta semence infâme. Je ferai de ton sang le limon d’une race nouvelle. Elle s’appellera l’Homme, elle sera vouée aux Éternels, elle sera tenue de garder la mémoire de ce qui est arrivé ».

 

Pour rendre compte de sa culpabilité, il l’attache et il ouvre son corps : il en sépare le sang et les os.

Sous les yeux de l’Assemblée, une sage-femme mélange de l’argile au sang du condamné.

Avec le sang et l’argile mélangés, le Fils modèle un homme.

Puis il en modèle cent.

Puis il en modèle mille, et cent mille.

Cette œuvre est impénétrable.

C’est l'Humanité.

Il lui impose la vocation des Éternels.

L’Humanité s’y comprend.

Pour cela, elle doit garder mémoire de ce qui est arrivé.

 

Les fils apprennent cela de leurs pères.

Les filles apprennent cela de leurs mères.

 

 

-

 

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