dent pour dent
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2006
Enfants, parents, dettes ou promesses à tenir, amours à guérir, agenda suicide ; aucune décision n’est plus impérieuse que celles que nous avons à prendre en dormant.
Les yeux fermés, à peine le temps de dire je m’endors et déjà le pouls descend.
Les fumées montent et déjà des formes brutales réclament des noms. Occupation des sols.
Courses poursuites à voix haute mettent des choses épaisses dans les choses qui arrivent.
Le temps de dire je m’en sors et déjà on rêve qu’on a rêvé.
A beau gueuler la voix ne fait que du sable et du ciment.
C’est entendu il faut détaler courir encore plus vite allez une main étreint le pas.
Elle dit à voix haute putain - ouvre les yeux et comprend que c’était le drap.
Alors à la fin veut dire ça va
mais oublie de dire à la fin je dors je meurs pas je dors je meurs pas.
Ça recommence les vagues ont des formes gelées
dès qu’elles bougent.
Des formes brutales.
Les gens ont pour les choses des noms qui tombent en questions alarmées.
Des têtes penchées dans la voiture en injures.
Des bouches tordues dans l’herbe.
On est Dimanche, aujourd'hui ?
se demande si on a déjà vécu ça.
Avant-hier avait la peur dans les deux bras.
Dans la rue qu’aucun fils de pute
ne me barre le chemin a gueulé un truc comme ça,
un drôle de geste, l’œil en retard sur la main.
La main déjà en l’air, le coup est parti.
Rien ne peut arrêter ce geste qui projette le sol entier au ciel, qui te parachute au plafond. Je connais ce truc-là, dit le soldat, un choc de bref-espace, d’un bond les coups évités, se relever, ruer, sauter, démolir.
- J’ai fait ça, moi ?
- Tu l’as fait.
De nouveau il faut se battre, personne ne demande pourquoi.
D’un coup les chiens ont les crocs, les chevilles. À voix haute une voix dit le combat. Elle tient à dire ça : far west. Les os font des bruits de coups. Le sang dans les tempes fait des incendies. Au minuscule, la catastrophe est comique.
L’odeur de l’herbe est l’odeur du sang dans l’odeur de l’herbe.
La crasse du monde, après tant d’années.
Les têtes penchées dans les automobiles.
Les mouches autour de sa bouche dénoncent le coupable.
Les yeux qui se ferment dans le sable, qui s’ouvrent sur une paire d’yeux contraires, où sont gelés tous nos gestes.
Un corps en bas dit qu’il il est en sable où il est, mort peut-être ?
La tête en sable crie ceci est mon corps
n’est pas fait pour les chiens
et soudain on se réveille,
respirant la bouche ouverte comme pour boire.
Pour cacher un crime qu’on a commis,
faut-il en commettre un autre ?
L’air est malaisé, on marche dans une eau noire jusqu’aux genoux.
La pression d’une main dans le dos s’entend le dire, d’une voix souriante mais sans sourire, c’est dangereux ici, n’est-ce pas ?
à voix basse dans une pensée qui n’est à personne : j’ai déjà vécu ça.
Même prosodie si quelqu’un avait dit il a fait beau aujourd’hui,
n’est-ce pas ?
C’est la phrase où tout recommence.
une phrase où parler, c’est à dire revenir à la surface où il suffirait d’obéir à la voix, avec le timbre qui sonne dans l’air qu’on respire.
Mais quelle voix a dit ça,
m’a fait dire à voix haute ça va ?
Hors d’haleine on va contre le vent, l’effroi,
à longues enjambées vers un azur, son dépotoir.
La mer alentour, bourdon de foule insolente,
mer imbécile,
foule criminelle.
Une main dans le dos, elle force le passage. A grands pas sur le sentier douanier, on peut toujours refaire ces gestes idiots, gestes des doigts discrets pour conjurer qu’aucun fils de pute.
Dans l’avant geste le bras qui manque, toujours la même peur, on n’y arrivera pas.
Elle est soulevée. Quoi ? La mer.
Un coup de talon. Entrée dans l’air.
Geste averti, le bras manque.
C’est la même peur, un œil dénoyauté, une image répétée,
tuante
comme à travers une neige d’écran, sur le point de nous réveiller.
Tête plaquée sur l’oreiller, on peut ouvrir un œil sans quitter le sommeil, on peut même dire NON et reprendre le rêve où on l’a quitté.
Ils m’ont gratté avec les doigts, pour me l’arracher. Je ne voulais pas, je voulais résister et je ne pouvais pas. J’ai saigné comme ils ont entré leurs dix doigts. Ils m’ont arraché un truc qui ressemblait à un petit foie. Ils me l’ont mis sous le nez pour que je le voie, et ils l’ont donné au chien. Huit heures après le chien s’est soulagé au pied du rosier. C’est une fille a dit le médecin tout sourire,
c’est un beau début.
Je me rhabille avec la peau mais il y a toujours un truc qui coule, mon cerveau en sable et ma tête en sac. Un sac de sable la bouche à l’oreiller. Si la tête se lève, elle versera ce sable. Elle ne peut pas se lever. Elle ne peut pas.
Parler n’est pas juste après penser, mais juste avant.
Par exemple un mot imprévu peut se ficher dans l’esprit comme une écharde et paralyser la phrase qui était en train de se dire, pour un moment très long (parfois pour de bon).Combien de fois on doit l’appeler pour que la voix gueule enfin ?
D’abord le plus net, ce sursaut qui ramène parmi les sons
quand la tête revient dans la tête, et gémir avec
une nuit dans la gorge.
Cette fois il faudrait se souvenir, graver ces mots dans la cire
pour les dire au réveil.
Mais la cire chaude, elle ne fige pas.
On ouvre les yeux sur une paire d’yeux contraires,
bouche tout sourire mais mine inquiète,
est-ce qu’une faute serait juste,
si en la commettant, on se trompait ?
Non, personne ne tue personne. Personne ne barre le chemin.
Aucun fils de pute aucun chien, pas de morsure à la peau du dos.
Tu sais, tu dors parfois les yeux ouverts et sans voir : le vent et les falaises, le sang des animaux, les corps mis bas, les abandons, l’emploi des mots.
Des massacres finissant par arriver au présent sont des innocents brûlés pour longtemps.
Dans le dos de leurs âmes, c’est une empreinte colorée détachée de sa forme, un mot revenant à la surface où il suffirait d’obéir à la voix.
Hélas, trop lent, le corps est brisé net, avant son petit cri.
C’est comme ça qu’on meurt en bâillant, le cerveau plein d’éclats.
Les paupières compriment les yeux, et tu vois un soleil si brûlant
que tu dois les rouvrir vite, pour ne pas t’aveugler.
Et la voix quitte le corps avec ce timbre qui fait l’air qu'on respire.
Ton visage s’éclaire du dedans parce que tu sais, tu es prévenue, tu connais les épisodes et l’issue, comme si tu avais toujours été là avant, de vies en vies, passée l’angoisse, quand on tombera tout entier de l’autre côté, dans l’oubli du mot angoisse
et dans la vidée.
Si Dieu a créé le temps, il en a fait bien assez.
Si c’est le temps qui a créé Dieu, il en fait trop.
Tu es là ?
je tendais le bras et je le trouvais. Il était mou et lourd, il enflait dans ma paume. Et si tu étais réveillé, pourquoi tu ne disais rien ?
On croit parler mais on est en train de palper un sexe.
On fait peau avec la peau, mais on n’a pas d’œil pour voir son œil.
Mon beau, tes beaux yeux
sont sales.
La peur colle à tes cils. Laisse-moi te les nettoyer.
Tu vois je suis là je veille sur toi. Et si tu dois de nouveau te battre, je suis là pour tirer le drap. Je suis là, et si quelqu’un tremble aussi dans cet effroi c’est moi. Un drôle de geste, le petit retard. Un goût d’herbe et de sang mêlés, sourire bouffé dans la bouche.
Dehors c’est Juin, tu vois, midi clair comme prononcer le mot Juin ensemble. Le jour est là, et si tu venais avec moi, nous irions dans la foule effacer nos mauvaises mines.
Et puis.
Saisi dans la foule par une stupeur qui dure, qui casse les jambes en pleine journée : pour cacher un crime qu’elle a commis, la vie a vite fait.
L'âme est un poster de tournesol sur la porte de la cuisine. Dieu est la conscience de la transparence de la conscience, même caché sous le lit. La loi est l'obligation de décalotter. Le droit, l'humiliation du petit voisin débile. Le corps est la première masturbation menée à terme. Le langage, le péristaltisme. Le désir est un rêve de mamelles, deux poings catatoniques au réveil. Autrui est un passage à tabac dans un souterrain. Le clivage, un pied étranger sur une gueule étrangère. Le mal est la semelle écrasée sur son visage, dans les escaliers de l'immeuble. L'amour est une caresse comme on ne t'en a encore jamais donné. L'expérience, les allumettes. L'histoire est un départ de feu. La liberté est la torture des petits animaux. Les plus petits. Le désespoir, la reproduction. La société est un fauteuil roulant qui barre la sortie de secours. L'état est un masque à gaz (protoxyde d'azote) : tu vas rire un peu, puis dormir profondément et quand tu te réveilleras tout sera fini. L'éternité est un accident vasculaire cérébral passé inaperçu pendant un voyage en avion.
Maintenant c’est la glissade,
tu vas aux muqueuses,
à la nuit des noyés
vivants,
voyants et calmes.
Mousses, humus, mues de couleuvres au sol, tu finiras par t’y étendre, dans la vie microscopique et brève. Sur un tapis d’épines de conifères, des carapaces de scarabée bleu, de l’aluminium et des lambeaux de plastique ont repris des formes végétales. Dans les régions que tu parcours, le plus souvent rampant, animal véloce et fuyant, les traces de songes éteints font une surface rugueuse, où on ne dort plus jamais.
Et si tu penses que ça ne peut plus durer,
justement
ça dure.
- Je respire encore ?
- Oui ça va, mais de plus en plus bas.
Voici la vie faible,
égale,
elle a l’étendue pour elle.
La douleur là-haut, qui mord les dents,
tu n’entends plus, tu descends.
- Je descends ?
- Tu descends.