de la nature des choses
bien après empédocle
2016
1. Si on écoute, on va apprendre quelque chose
Salut les filles, visages aimés, bras blancs s’il vous plait,
allez,
faites couler de nos bouches un fleuve.
Formez vos pensées dans nos bouches
et poussez nos voix au dehors, qu’on les entende.
Sanctifiez nos lèvres, on va parler de ce que vous savez.
On vient au monde
et soudain on ne sait plus rien.
On est enfants
et tout ce qu’on savait avant, il faut recommencer.
Amies, dites-le encore,
ce qu’on savait avant d’arriver.
Si tu écoutes, tu vas apprendre quelque chose, mais pas davantage.
Tu le savais.
La pensée peut penser quelque chose, mais sans pouvoir.
Les forces sont réparties dans les corps. Les limites sont étroites.
Les maux sont nombreux. Ils émoussent la pointe des pensées.
Une vie de petit homme, elle le condamne à une mort précoce.
Mais c’est quoi ta vie d’homme, petit homme ?
Approche.
Tu crains la lumière ?
Si t’as pas mal aux yeux, lève tes yeux.
Dans les hauteurs, regarde.
La fumée se dissipe. Chaque chose est claire.
Confiance à l’oreille. Tout est clair. Confiance à l’oeil.
Donne un coup de main à la pensée.
Dans ta tête, tais-toi.
Écoute.
Veille et sommeil. Mouvement et immobilité.
Couronne d’or et culotte de merde. Silence et parole.
La vérité est connue, elle est pénible :
il y a des doutes sur la naissance et le pourrissement.
Une fois on était jeune garçon et jeune fille,
une autre fois on était un buisson et l’oiseau qui le chante,
et puis on était les poissons muets dans la mer.
Avant d’arriver, chacun a vu des choses qui font dix,
vingt vies d’humains.
Les filles disent trois choses :
La vie ne commence pas. La mort non plus. Fatal est périssable.
On va dire la même chose :
Le changement est un mélange.
La vie est un mélange.
Les êtres sont mélangés.
La pensée peut penser cela :
La naissance est le nom donné à ce changement.
La mort est le nom donné à ce changement.
La pensée a donné ce pouvoir aux humains : ils donnent les noms.
Les êtres viennent dans la lumière du jour : il y a des espèces d’animaux, des plantes sauvages ou des oiseaux, des poissons muets dans la mer.
Les animaux, les plantes sauvages, les oiseaux et les poissons sont les figures qu’ont pris les éléments mélangés. Les éléments sont mélangés dans la vie et formés dans la figure d’un être.
Mais les hommes disent qu’ils sont nés d’un nom.
Ils disent que les êtres sont nés des noms donnés.
En donnant les noms, les hommes se vengent de la mort.
Les noms demeurent et ils se croient vengés.
Pauvres fous.
Les êtres ne sont pas nés des noms que vous leur avez donné.
Petit homme, regarde les êtres, regarde les noms :
les hommes ne donnent pas aux êtres un nom juste, mais juste une mort douloureuse.
C’est la coutume, et personne ne fait mieux.
Allez, la mort est sans appel.
( ça veut dire que tu ne peux pas appeler la mort.
Essaye toujours. )
Hommes débiles, étriqués.
Ils imaginent être nés, comme si ils n’étaient pas déjà là.
Ils pensent qu’une chose peut périr ou être détruite.
Elles disent :
Rien ne peut naître que ce qui est déjà là,
de toutes façons.
Ils n’entendent pas.
Elles disent :
Impossible que ce qui est puisse périr.
Ce qui est sera toujours là. Où vous voudrez.
Ils ne voient pas.
Elles disent :
Vous n’êtes pas nés, vous venez d’arriver.
Vous ne vivez pas, vous augmentez.
Vous ne mourez pas, vous déménagez.
D’ailleurs, comment pourriez-vous mourir, puisqu’il n’y a pas de vide à la place des choses ?
Vous êtes ce que vous êtes.
Mais parfois, précipités dans l’autre, vous entrez dans les détails,
vous devenez des vies comme d’autres vies.
Petit homme, écoute ce qu’elles disent, visages aimés.
A l’étude, la sagesse augmente.
Dans tout, il n’y a pas de vide. Pas de débordement.
En tout cas, c’est tout. Et dans le tout, il n’y a rien de vide.
Ainsi seulement peut venir quelque chose : quelque chose croît.
Elles disent deux choses.
A un moment donné, Tout Seul a formé les plusieurs.
Il a été divisé en multiples : du feu, de l’eau, de la terre, et de l’air dans les hauteurs.
Puis en multiplications.
Il y a une double naissance des choses, et une double destruction.
La réunion de toutes les choses amène une génération à l’existence. Puis à la destruction.
Mais la plénitude ne craint rien.
C’était la première chose.
Maintenant, on dit la seconde.
Quand les matières sont dissipées, elles changent de place.
Si elles s’unissent, c’est sous l’effet de l’amour.
Si elles se dispersent, c’est sous l’effet de la haine.
Elles s’attirent, c’est l’amour. Elles se repoussent, c’est la haine.
Elles se battent, ce sont des formes séparées.
Elles s’unissent, c’est l’amour.
En raison de ces effets, toutes les choses ont été, sont et seront.
La pensée peut penser ça : le conflit entre l’Amour et la Haine.
Tu le vois dans la mort, c’est facile.
Mais le vois-tu dans la naissance ?
C’est plus difficile.
Ne reste pas assis là, les yeux éblouis.
Contemple.
Pense.
Personne ne compte les bras du soleil.
Personne ne pèse l’eau de la mer.
Personne ne mesure la force de la terre.
Oublie les nombres.
Personne ne vit parmi les nombres.
Écoute bien.
Elles racontent comment cela a commencé.
D’abord Tout Seul est heureux dans son cercle de solitude.
Il n’y a pas de discorde entre ses membres. C’est égal dans toutes les directions. C’est tout à fait infini, sphérique et rond, heureux dans son cercle de solitude.
Ça n’a pas de pied, pas de genoux rapides, ni d’organes génitaux. Pas de rameaux dans le dos. C’est sphérique et égal dans toutes les directions, seul, joyeux. C’est l’Être uni.
Mais d’un coup la Haine grandit dans ses membres, et tous les membres sont éclatés les uns après les autres.
Quand plus tard l’Être sera mélangé à De l’être en proportion plus élevée, alors les membres s’aimeront et se réuniront au hasard des mélanges.
Écoute maintenant comment la vie a été créée.
Par un écart de l’Être la haine a continué de couler.
Elle a coulé vers le monde et elle l’a inondé.
Mais dans ce torrent de Haine un peu d’amour doux s’est mêlé.
Ruisseau d’amour dans le torrent de haine : toutes les choses que tu connais y sont nées, mais par morceaux séparés.
Hommes et femmes, bêtes et oiseaux
et les poissons muets qui vivent dans l’eau,
arbres et forêts, volcans et glaciers,
les atomes insécables et tous les corps composés,
et même les dieux qui vivent une vie honorée,
ces choses sont d’abord nées séparées.
Regarde, ce sont des visions étranges, mais belles à voir.
Sur la terre divaguent des têtes sans cous,
des bras nus sans épaules,
des troncs solitaires et des yeux errants,
privés de fronts.
Des morceaux de corps et de choses éparpillés,
des formes sans intégrité.
Des membres séparés ici et là, ils errent, ils cherchent à s’unir et ils se perdent.
Torrent de haine, trop peu d’amour.
Il y a des mélanges brutaux, des composés ratés.
Il y a des créatures à la démarche traînante, avec des mains innombrables.
Des natures d’homme et de femme mêlées : elles sont stériles (mais enviables).
Des gens naissent avec le visage dans le dos,
d’autres ont des mains sur tout le corps,
d’autres ont les pieds qui tournent comme des hélices
quand ils marchent.
Les vaches accouchent de petits hommes.
Les femmes accouchent de petits veaux.
Il n’y a pas encore assez d’amour,
mais ça vient.
Tu as compris ça, maintenant tu le sais :
Au début, les membres sont séparés par la haine,
ils errent chacun pour soi.
Plus tard, ils sont réunis par l’amour et ils forment des êtres entiers.
Mais écoute encore, et ne retiens que ça dans ta pensée :
La vie a besoin d’amour autant que de haine.
La haine sépare les choses au point où elles meurent
les unes sans les autres.
L’amour confond les choses au point où elles meurent
les unes dans les autres.
La vie est ce mélange.
2. Si tu veux Savoir
Marcher de sommet en sommet n’est pas un voyage d’agrément.
C’est sans fin.
La vie apparaît sans fin.
Les choses sont ce qu’elles sont,
mais en passant les unes dans les autres,
elles entrent dans les détails.
Que veux-tu savoir ?
Comment les arbres grandissent ?
S’ils s’épanouissent d’air ou de terre ?
Les oliviers font-ils des œufs ?
Pourquoi les grenades sont-elles lentes à mûrir ?
Et comment vivent les poissons dans la mer ?
(mais qui est le guide du peuple des poissons ?
qui parle pour les poissons sans voix ?)
Écoute encore, tu vas apprendre quelque chose,
mais pas davantage.
Tu le savais.
La pensée mortelle peut penser quelque chose, mais sans pouvoir.
Bon, d’abord,
les filles disent le vrai au sujet des météores.
La lune est douce, un visage pâle, il ressemble au visage aimé.
Le soleil a les traits accentués, distribués, vastes.
La lune coupe ses rayons quand elle passe devant le soleil.
Elle jette une ombre sur la terre.
Le rayon de soleil frappe aussi le cercle large de la lune puissante.
Il se retourne et il repart. Il va au firmament.
Il laisse derrière lui une face libre de peur.
Un tour de sa lumière, c’est un tour de la terre.
C’est la terre qui fait la nuit derrière la lumière.
La lune solitaire aux visage aimé, aux yeux aveuglés :
elle apporte le vent de la mer et les grosses pluies.
Rencontres et chocs dans la précipitation.
Le feu se précipite vers les hauteurs.
Mais beaucoup de feux brûlent sous la terre.
La terre augmente sa masse.
L’air gonfle un volume d’air.
L’air s’est enfoncé dans la terre avec de longues racines.
La mer est la sueur de la terre.
Le sel est solidifié par le choc des rayons solaires.
La terre se réunit avec l’eau et l’air brillant
dans des proportions à peu près égales.
Soit en pleine lumière, soit en moins.
Ensuite, elles parlent de la lumière.
La lumière jaune est une pensée qui a la vitesse de morsure du feu. La lumière blanche exprime une fine portion de l’air, un doux ralenti qui échappe aux yeux des mortels.
La pupille de ton oeil est ronde, elle est vêtue de membranes et de tissus délicats, percés partout de passages merveilleux.
Les rayons de la lumière rejettent l’eau profonde qui entoure la pupille. La paupière laisse passer le feu de l’air car il est plus fin.
Maintenant, elles parlent de l’amour.
Parmi les yeux, l’amour est infatigable.
Si une vision unique est produite par les deux yeux,
c'est l'amour qui a fait ça.
Du flux des effluents tous les choses naissent et s’écoulent.
Ainsi le doux s’empare du doux.
L’amer se précipite vers l’amer.
L’acide se jette sur l’acide.
Avec la chaleur, le chaud.
L’eau s’associe au vin pour l’améliorer.
Mais elle ne veut pas se mélanger à l’huile.
Au sujet des pneumatiques, elles disent :
Toutes les choses inspirent le souffle et l’expirent.
Tous les corps ont des tuyaux sous la surface des peaux.
Le sang gît dans les chairs et dans les bouches.
La surface de la peau est partout percée de pores serrées,
de sorte qu’elles retiennent le sang, mais ouvrent la voie aux airs.
Quand le sang clair se retire, l’air chaud s’y précipite,
tumulte,
puis de nouveau expiré au retour du sang.
Le chien a son nez. Il flaire les particules des membres animaux, et l’exhalaison de leurs pieds. Les traces dans l’herbe molle.
Toutes les choses ont leur part de souffle et d’odeur.
Volonté de la Fortune.
Les choses les moins denses sont unies dans leur chute.
Le cœur vit dans une mer de sang.
Le sang va et vient, en sens opposés.
Il est essentiellement ce qu’on appelle la pensée.
Le sang qui entoure le cœur est la pensée des hommes.
Avec la nuit, des pensées obscures viennent à l’âme qui songe.
Elles vont parler de la génération.
Approche. Elles vont parler à voix basse.
Écoute maintenant comment le feu lève la semence des hommes.
Le désir vient dans les corps, excité par la vue.
Dans les pelouses divisées des jambes d’Amour, le désir court jusque dans les parties pures.
Dans sa partie la plus chaude, le sein de la femme produit des mâles.
C’est pourquoi ils ont la peau foncée et ils sont plus velus.
Quand le désir va aux parties froides, naissent les femelles.
C’est pourquoi elles ont la peau nette et elles sont moins brutales.
Écoute comment les enfants naissent la nuit de femmes aux larmes abondantes.
Le dixième jour, la purée blanche est la substance. C’est l’enfant.
Elle porte le double nom de fromage frais en peau de mouton,
en partie corps de l’homme, en partie corps de la femme.
C’est la naissance qui choisit,
si elle veut.
3. Sagesse
La sagesse augmente avec ce qu’on voit.
Avec la terre, on voit la terre.
Avec l’eau, on voit l’eau dans l’air.
On voit l’air vif, c’est le feu qui dévore le feu.
C’est par amour qu’on voit l’amour.
C’est par la haine mortelle qu’on voit la haine mortelle,
et qu’on ne voit qu’elle.
Toutes les choses sont formées et bien équipées ensemble.
C’est grâce à elles que les hommes connaissent le plaisir et la douleur de penser.
Vois les choses créées avec de l’amour et un soin irréprochable.
Mais si tu aspires à des passions d’une autre nature,
comme de coutume font les cœurs faibles,
alors une foule de malheurs t’attendent.
Ils émousseront ta pensée.
Bientôt, ta vie t’abandonnera pour vivre ailleurs.
Les éléments aspirent à revenir à leur nature propre.
Les vents soufflent. Les vagues se lèvent.
La pluie tombe et elle nourrit la terre.
Le soleil réchauffe la peau.
Les choses sont infatigables.
Et toi, petit homme, tu voudrais contrarier leurs fins ?
Les choses sont bonnes comme elles sont,
et toi tu voudrais ramener de l’abîme
la vie des morts ?
Sache que toutes les choses ont de la sagesse
et elles savent ce qu’elles font.
Appuie-toi fermement sur l’esprit.
Tu n’as rien de plus à faire :
Donne un coup de main à la pensée.