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Debout

debout. allez la journée bleue ciel. ça promet. j’irai loin aujourd’hui. j’irai marcher sans aller acheter des choses. sans aller quelque part pour attendre de repartir après. je vais marcher. sans attendre de voir si je croise quelqu’un. et tant pis. je prendrai d’autres rues. je parlerai pas. je ne laisserai pas divaguer les idées qui isolent. les idées qui rendent le monde hostile. les gens méchants. je monterai dans un bus. je descendrai au terminus. je ferai le tour du pâté. je remonterai dans le bus. je reviendrai. si j’ai faim je mange. si j’ai soif je bois. je vais pas trembler. je vais m’asseoir si je suis fatigué. je m’assieds seulement si le soleil est possible. je chantonne des chansons gaies. pas des monodies. des chansons gaies. je fais pas durer. aujourd’hui je vais pas crever. je vais marcher.

 

quand je marche plus lentement que lentement je l’entends. je fais la semelle gauche rencontrer le sol et le talon droit s’en détacher. je fais gaffe à ça sur quelques pas. je regarde le pas sous moi. je respire le pas. je le cale sous le pied. je le décale d’une semelle. je fais ça comme ça. sans raison. je fais pas attention. de toutes façons.

                                                                                                                            

je compte pas mes pas. je vais vite. je gagne sur le terrain mais la distance avale. si j’en ai assez je tourne la tête. je vais vite. je dévisse la tête. je traverse. je lis une inscription. je remets la tête dans l’axe. je la lis encore dans mon dos. je m’en souviens. ils ont écrit deviens qui tu es. c’est l’armée. ils ont écrit ça après les attentats. j’appelle la rue par son nom et elle me laisse traverser. je fais le tour du pâté. je vais rentrer. je repasse. il est plus tard mais pas assez. je repasse. je suis fatigué. j’en ai assez pour aujourd’hui. je vais rentrer. un peu honteux aussi. mais pas assez. je m’assieds. sur une bite de stationnement. j’attends. assis là où j’attends le sommeil. les yeux piquent les yeux. une paille de fer caresse l’échine. la bouche ouverte mâchoire avancée je flaire mon haleine de famine. le tanin dans l’estomac. la faim ça y est. encore une minute et je fous le camp. encore une minute. et je rentre chez moi.

 

encore une minute. et je me tire de là. je rentre. maintenant. allez. je me lève lentement. lentement je dégourdis les fourmis dans les jambes et les moucherons dans la tête. je vois jaune avec des endroits verts. je suis fatigué. honteux aussi. un peu. je voudrais m’allonger là. dormir sur le trottoir. si on venait vers moi maintenant. je voudrais vous demander quelque chose. ça va ? je vais m’effondrer attention. je sens que je vais vous prendre la main. c’est bête. je crois que je vais me pendre à votre bras. et tu verras alors. je laisse ma bave sur ton pantalon. c’est déjà arrivé. dis-le-toi.

 

je fatigue et le soleil. je tombe en bas. l’air chaud prend les nerfs. la main porte une cigarette aux lèvres. elle remonte une crémaillère. le vent chaud fait tout trembler. la sueur aux aisselles. elle roule au flanc. cette odeur maintenant. je brûle un pneu dans la gorge. je voudrais m’asseoir. je voudrais soulager mes jambes. je vais m’asseoir. donnez moi quelque chose à manger. du sucre. une orange. je vais réclamer des vitamines. je vais rentrer.

 

j’ai bu l’eau de la fontaine. j’ai baissé vers l’eau les mains en écuelle. j’ai bu dans les mains l’eau froide. j’ai aspergé le visage. les jambes m’ont soutenues. j’ai reposé mes coudes sur la margelle. j’ai tenu bon. ça va. j’ai bu l’eau froide. j’ai bu l’eau qui abreuve. l'eau qui lave. elle éclaircit les idées. elle fouette les nerfs du visage. l’eau chasse les brumes. j’ai bu. mais tout s’engourdit encore cent pas plus loin. c’est pas loin.

 

je suis au regret de devoir au conditionnel passé. rester là-bas m’humecter souvent pincer la peau. j’ai dû rester dans l’eau. la boire. je la buvais sans m’arrêter mais au lieu de ça j’ai continué. j’ai marché encore aujourd’hui. sous le soleil. grand cul altier. il tombe au sol des trous jaunes. et sur les capots des voitures. des flaques de lave. je suis tombé là. dans la lave de juillet. les rayons passent. les atomes aboient. ils éclatent la tôle et le béton. le napalm lèche les façades. personne ne crie. tous les gens passent dans la lumière. ils sont radiés. ils perdent leurs contours mais aussitôt ils récupèrent leurs corps. pas brûlés. ils recommencent. intacts. mais comment ils font ? alors personne ne fond ?  ils marchent dans le feu et ils restent entier ? alors je suis seul à voir ce qu’ils effacent ensemble ?

 

le chien qui faisait le chien pour les gens qui aiment les chiens il s’immobilise soudain. c’est une alerte de chien avec les oreilles dressées. le dos cabré. des courts voltages sous l’épiderme. la queue raide et le museau affûté. il scrute quelque chose que le chien est seul à voir. mais tout le chien. c’est là c’est sûr. c’est quelque part entre les gens. il est prêt à bondir. mais le chien néglige tout soudain. la menace invisible c’était rien. rien qu’une angoisse de chien dans un monde humain.

 

le vent arrache aux arbres des appels de branches. il dérive le vol des plumés. il soulève un sac plastique. il le fouette en virgule. le vent le livre aux branches et le déchire. le sac lacéré. le vent branle une vitre dans ses joints. le volet sur la fenêtre fait revenir son fracas de lattes choquées. un coin d’affiche est soulevé. le châle de Mademoiselle ! lui gifle la figure. les mots du type derrière elle lui rentrent en bouche. son petit haut lui plastifie les seins. en terrasse un verre tombe de table. les éclats glissent sous d’autres tables. les pieds soulèvent leurs semelles. ensemble on rit. ta cigarette se consume d’un seul côté. il t’en reste une péninsule de papier cramoisi. il tressaille dans le petit vent. le tison rouge se détache et roule à tes pieds. le mégot froid empuantit les doigts. tu les portes aux narines. un nuage noir balaye la chaussée. la rue diminue d’un ton. les ombres des gens leur remontent aux visages.

 

la tête au sommet. la boule où gonfle une éponge d’eau. l’encéphale essoufflé. Le cerveau qui sert à dénouer des pensées malaisées. à pétrir une pâte qui veut pas lever. le pâté de pensées dans son jus. les fixations. la glue. les rouleaux insensés. la pâte qui dit non. qui dit ne pas je n’ai pas je n’ai. un amour bloqué demande sors-moi de là. sors moi d’un corps soustrait. voilà ce qui reste. et la certitude qu’une attaque rouge ferait sauter l’entrave. une attaque rouge j’ai dit. tu as dit quoi ? je peux pas dire mieux. je vois imparfait encore deux ou quatre corps noués ensemble dans une convulsion obscène. et la voix criait sors moi de là. elle portait les coups et repoussait les bras. et puis j’ouvrais les yeux. et ça c’est la défense blanche. je crie vraiment. et sans dire encore ce que je devais dire vraiment. un battement de paupière à l’infini. je cligne des yeux. le monde s’éteint. le monde s’allume et s’éteint. 

 

une marée montante d’air mouillé. un air luisant de mazout bouilli. les voitures stationnées. elles incurvent les immeubles. et sur un capot rouge dans l’air éloigné où je vois ma tête en ronde-bosse. ombres et trous. comique mouton. cheveux d’algues. les yeux du poulpe. je vois dans le reflet la terreur d’une disparition. de mon côté.

 

debout encore. je me suis relevé tandis que buter imparfait sur un obstacle buter encore présent. tomber à nouveau sans jurer. sans maudire. sans abandonner à chaque instant. je me fais un chemin dans le courant. je remonte le temps. je suis vivant. je crois que je suis vivant parce que je suis mort l’instant d’avant.

 

je suis mort sans le savoir. c’était dans la rue plus bas. j’ai été percuté par une auto très dure. C’était il y a une minute à peine. Et voilà déjà la police. les pompiers. les brancardiers. ils emportent mon corps parmi les badauds. et moi je continue dans les rues plus bas. on me croise sans faire attention. si on me reconnaît on me demande alors ça va ? hé c’est moi cette ressemblance infernale ? je suis vivant ou pas ? si je suis devant vous empoignez-moi. ne me quittez pas d’une semelle. rattrapez-moi plus bas. redonnez moi ce corps. si vous croisez ce corps rendez le moi.

 

le feu résout le bois en cendres. on puise dans la tristesse les forces mêmes pour agir. madame se meurt. madame est morte. madame est rejetée pour le motif suivant. insuffisance de provision. d’eau gazéifiée de sucre et d’acidifiant. je passerai ma vie à mériter votre indulgence. afin d’éviter l’application des frais variables par quinzaine. notre père foutait maman à cheval par dessus le quart-monde. mais qu’on leur donne leurs primes de précarité. de danger. de saleté. le limon qu’on étale à leurs pieds. attention à la glissade. Oh. pliez-vous. arquez. allez. la vie ensemble au grand air. la langue au pas. que ma joie demeure. déconvenues et odeurs mortelles. trous de merde. au réveil tout aura changé. une plaine du far west quand le shérif sifflote. faits & gestes & motifs de non-distribution. un capitalisme digestif. le silence des organes. le passage du temps égal au quelque chose d’un quelque chose

 

et voilà comment je t’ai vue passer dans les paupières. j’ai dit ton prénom. mais rien n’a sonné dans la voix. j’ai recommencé. tu passais déjà. tu as entendu après. tu t’es arrêtée. c’est toi qui as dis c’est toi ? tu restes là. surprise et emmerdée. à contre jour. tu fais éclipse au soleil. je ne vois pas ton visage. on se tait bruyamment. on lutte pour dire un mot. pour changer de pied. On lutte pour piétiner. pour reprendre son chemin sans blesser. ça dure et ça ne peut plus durer. et justement parce que nous pensons ça ne peut plus durer ça dure.

 

tu cherches à droite à gauche par dessus mon épaule comme si tu espérais quelqu’un ou quelque chose. une diversion. un appel. tu dis bon. tu dis allez. tu dis salut. tu voulais dire bon allez salut mais tu as déjà tourné les talons. tu repars d’où tu venais. tu diminues noire et je reste là jusqu’à diminuer moi aussi. noir aussi. sans avoir voulu que tu serais resté là. que tu aurais pu. une minute de plus. que tu serais restée. rien qu’une minute. mais tu n’as pas voulu.

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